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Publié : 25 octobre 2012
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"Demain, l’Algérie sera une terre de ruines et de morts."

Notre sujet de TPE, en 2012, était "le terrorisme à Alger pendant la guerre d’Algérie de 1954 à 1960, en relation avec les œuvres d’Albert Camus". 

Nous avons lu sur le Blog du lycée de nombreux interviews d’Albert Camus ; or, notre production pour les TPE était aussi un interview de l’écrivain l’interrogeant sur la manière dont il vivait la guerre d’Algérie, et ce qu’il en pensait.

Nous voudrions vous montrer ce que nous avons réalisé.

Alexandra, Ivan, et Manon

 

Pour réaliser notre article, nous avons choisi le journal Le Monde comme support, ainsi qu’un attentat qui s’est réellement passé à Alger pendant la guerre. Les réponses d’Albert Camus sont issues de différents articles de l’auteur réunis dans le recueil Actuelles III, ainsi que d’autres lectures (L’Étranger, Le Premier homme...).

 

L’article parait trois jours après l’attentat ; nous avons donc questionné Albert Camus sur ses réactions :

 

Avant-hier, attentat au casino de la Corniche d’Alger, explosion d’une bombe vers 18h.

Le casino de la Corniche situé sur un éperon rocheux dans la proche banlieue d’Alger, a été ravagé par une bombe placée sous l’estrade de l’orchestre. La cible semble être les militaires et les policiers, on soupçonne même, un employé du casino de complicité avec l’auteur de l’attentat, le F.L.N. L’explosion a fait 8 morts et 92 blessés.

Entretien avec Albert Camus

Le Monde : Monsieur Camus, un attentat a eu lieu au casino le 3 juin dernier, quelle est votre réaction face à cet acte de violence ?

Personnellement, je ne m’intéresse plus qu’aux actions qui peuvent ici et maintenant épargner du sang inutile et aux solutions qui préservent l’avenir d’une terre dont le malheur pèse trop sur moi pour que je puisse songer à en parler pour la galerie.

Pour n’avoir pas su vivre ensemble, deux populations à la fois semblables et différentes mais également respectables se condamnent à mourir ensemble la rage au cœur.

Le Monde : Quelles seraient pour vous les actions pouvant « épargner ce sang inutile » ?

Aucune cause ne justifie la mort de l’innocent. Si chacun Arabe ou Français faisait l’effort de réfléchir aux raisons de l’adversaire, les éléments au moins, d’une discussion féconde pourraient se dégager.

Le Monde : Quelles seraient alors les conditions d’une « discussion féconde » ?

Pour n’avoir pas su vivre ensemble, deux populations à la fois semblables et différentes mais également respectables se condamnent à mourir ensemble la rage au cœur. Mais ces hommes doivent vivre ensemble à ce carrefour de routes, et races où l’histoire les a placés. Ils le peuvent, à la seule condition de faire quelques pas les uns au-devant des autres, dans une confrontation libre. Nos différences devraient alors nous aider au lieu de nous opposer.

Le Monde : Pour vous une cohabitation des Français d’Algérie et des Algériens peut être sereine ? Mais avec quels préceptes et quels acteurs ?

Oui, l’essentiel est de maintenir, si restreinte soit-elle, la place du dialogue encore possible ; l’essentiel est de ramener si légère, si fugitive qu’elle soit, la détente. Et pour cela, il faut que chacun de nous prêche l’apaisement aux siens. Les massacres inexcusables des civils français entraînent d’autres destructions aussi stupides, opérées sur la personne et les biens du peuple arabe. On dirait que des fous, enflammés de fureur, conscients du mariage forcé dont ils ne peuvent se délivrer, ont décidé d’en faire une étreinte mortelle. Forcés de vivre ensemble, et incapables de s’unir, ils décident au moins de mourir ensemble. Et chacun pasr ses excès renforçant les raisons, et les excès de l’autre, la tempête de mort qui s’est abattue sur notre pays ne peut que croître jusqu’à la destruction générale. Dans cette surenchère incessante, l’incendie gagne, et demain l’Algérie sera une terre de ruines et de morts que nulle puissance au monde ne sera capable de relever dans ce siècle.

Ce terrorisme est un crime, qu’on ne peut ni excuser ni laisser se développer.

Le Monde : Pensez-vous que de tels actes peuvent avoir un impact sur la situation actuelle ?

Quand le destin d’hommes et de femmes de son propre sang se trouvent liés directement ou non on a le devoir d’hésiter et de peser le pour et le contre. Ce terrorisme est un crime, qu’on ne peut ni excuser ni laisser se développer. On ne saurait transformer ici la reconnaissance des injustices subies par le peuple de ceux qui assassinent instinctivement civils arabes et civils français sans considération d’âge ni de sexe.

Après tout, Gandhi a prouvé qu’on pouvait combattre pour son peuple, et vaincre, sans cesser un seul jour de rester estimable. Qu’elle que soit la cause que l’on défend, elle restera toujours déshonorée par le massacre aveugle d’une foule innocente où le tueur sait d’avance qu’il atteindra la femme et l’enfant.

Le Monde : Pensez-vous que l’armée française doit négocier avec le FLN, dans l’objectif de cesser les actes terroristes ?

 Ceux qui préconisent, en termes volontairement imprécis, la négociation avec le FNL ne peuvent plus ignorer, devant les précisions du FNL, que cela signifie l’indépendance de l’Algérie dirigée par les chefs militaires les plus implacables de l’insurrection, c’est-à-dire l’éviction de 1 200 000 Européen d’Algérie et l’humiliation de millions de Français avec elles risques que cette humiliation comporte. C’est un fait, il faut l’avouer pour ce qu’il est et cesser de le couvrir d’euphémismes.

Le Monde : En tant que Français d’ Algérie, ressentez-vous une certaine menace pour vous ou pour vos proches ?

Oui, c’est évident, il m’est impossible de donner un alibi au fou criminel qui jettera sa bombe sur une foule innocente où se trouvent les miens. Je me suis borné à reconnaître cette évidence.

Pourtant, ceux qui ne connaissent pas la situation dont je parle peuvent difficilement en juger. Mais ceux qui, la connaissent, continuent de penser héroïquement que le frère doit périr plutôt que les principes, je me bornerai à les admirer de loin. Je ne suis pas de leur race.

Composition réalisée par Alexandra, Ivan, et Manon

Voici la réalisation finale de notre article en image :