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Par : Julie G.
Publié : 24 octobre 2012
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Interview exclusive d’ Albert Camus (jamais parue dans les journaux).

Interécriva

ins.

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Rédacteur en chef du journal Inter

écrivains

1er janvier 1960.

* Bonjour M. Camus, quelle est votre demande au lecteur ?

Enchanté, je demande une seule chose, et je la demande humblement, bien que je sache qu’elle est exorbitante : être lu avec attention. Je demande au lecteur que s’il entame une de mes œuvres il l’achève.

*Avez-vous déjà écrit une œuvre autobiographique ?Dans L’Étranger où vous racontez la vie d’un homme qui vit a Alger et qui est modeste, le personnage vous ressemble.

Non, je persiste à nier l’origine autobiographique de toute écriture. Certes, Meursault me ressemble, mais il tue un homme ce qui dispense d’en faire un double me ressemblant.

*Après avoir obtenu une bourse pour poursuivre votre scolarité au lycée Bugeaud, vous avait été atteint des premières attaques

de la tuberculose, ce qui vous a obligé à aller vivre chez un oncle en quittant votre mère. Comment avez vous vécu cette période ?

Oui, mon oncle qui avait pris en charge une partie de mon éducation, me donnait parfois des livres. Intelligent et cultivé, il n’avait de vraie passion que pour la lecture de Joyce, Valéry ou Maurras et les idées. Cette période ne fut pas plus difficile qu’une autre. Je me souviens que dans le temps, je lisais indifféremment Les Nourritures terrestre, Les Lettres de Femmes et Pardaillan si ma mémoire n’est pas confuse.

*La maladie vous a-t-elle atteint ?

Oui, dans un sens la maladie m’a atteint, mais dans un autre sens, elle donne un sens à la vie, elle permet d’avoir le sens des valeurs, de ne pas prendre l’accessoire pour l’essentiel. Elle m’a donné la bonne distance concernant les autres et le monde. 

*Vous avez vécu, du moins toute votre jeunesse, dans une modeste famille où la pauvreté était souvent présente, cette pauvreté vous a-t-elle parfois rendu malheureux ?

La pauvreté n’a jamais été un malheur pour moi . Dans tous les cas, la chaleur qui régnait sur mon enfance m’a privé de tout ressentiment. 

*Comment avez-vous fait pour rester fidèle à votre enfance ?

Albert Camus enfant.
Source : lewebpedagogique.com

Tout au long de ma vie je suis resté fidèle à mon enfance. Par exemple avec ces trois textes : Noces à Tipasa, L’été, et L’envers et l’endroit, qui paraît dans une collection intitulée « Méditerranéenne ». Cet ouvrage pose la question suivante : Comment quitter le milieu pauvre de son enfance tout en lui restant fidèle ?

J’y réponds en racontant une histoire généalogique. en détaillant le quotidien des gens pauvres, puis en portant plus haut, plus loin, plus fort les valeurs des gens démunies qui m’est familier : l’honneur, la dignité, la simplicité, la fraternité et l’austérité.

*Pourriez-vous un jour écrire un livre de morale ?

Si j’avais à écrire un livre de morale, il aurait cent pages et quatre-vingt-dix-neuf seraient blanches. Sur la dernière, j’écrirais « Je ne connais qu’un seul devoir et c’est celui d’aimer ». Et pour le reste, je dis non. Je dis non de toutes mes forces, car l’amour est le seul vrai sentiment.

*Quel est le moment qui vous a le plus marqué dans votre vie ?

Ce fut dans mon école que j’ai fréquenté dès l’âge de quatre ans où j’ai rencontré Louis Germain, mon instituteur, ancien rescapé de la même guerre que mon père.  Il a lu à toute la classe un extrait des Croix de Bois de Roland Dorgeles. Dans cet extrait, je découvre la vie au front, la Première Guerre Mondiale, les tranchées, le monde dans lequel mon père a perdu la vie. Cette lecture nous présente un passé dans lequel s’engloutit un père jamais connu. Le roman de l’histoire du monde coïncide avec le roman de ma propre histoire. Ce livre renferme la clef du mystère du trépas paternel.

A la fin de l’extrait, l’émotion était présente dans toute la classe. Lorsque M. Germain lève la tête, il est frappé par la stupeur de la classe. Mes camarades et moi avons découvert la vie passée de notre instituteur. M. Germain, me voyant pleurer, me murmure quelques mots doux et tendres. 

Des années plus tard, je rend visite à M. Germain. J’ai quarante-cinq ans, je suis célèbre par la publication de mes livres. En me voyant je me souviens que le vieil homme s’est levé de son fauteuil, s’est dirigé vers un meuble, a ouvert un tiroir, sorti un livre et, à ce moment-là, j’ai reconnu Les Croix de Bois. Il m’en a fait cadeau. En me faisant ce cadeau, il me dit cette phrase inoubliable : " Tu as pleuré, tu te souviens ? Depuis ce jour là, ce livre t’appartient."

*Le 17 octobre 1957, vous recevez le prix Nobel de littérature. Comment avez-vous réagi  ?

J’ai reçu cette nouvelle avec plus de doute intérieur que de joie. Ce fut un étrange sentiment d’accablement et de mélancolie. A quarante-quatre ans pauvre et nu, j’ai connu la gloire. Car je vivais dans une famille modeste et je n’avait pas beaucoup d’argent et donc je n’ai jamais eu le plaisir d’avoir un cadeau comme le prix Nobel.

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Quelques jours après cette interview, Albert Camus est victime d’un terrible accident de voiture. Sa perte nous est douloureuse.

Malgré sa mort soudaine à 47 ans, il a réalisé le seul et unique défi de sa vie. Il a écrit une lettre au début de sa carrière à Jean Grenier, dans laquelle il lui révèle ses trois projets : écrire un essai, une pièce de théâtre et un roman qui feront succès. Il mène son rêve à bien avec L’Étranger, Le mythe de Sisphe et Caligula. Ce fut un très grand écrivain par sa philosophie extraordinaire.

Source : Albert Camus/ Wordpress.com

 

Julie et Mathieu.