-Racontez l’histoire de votre famille -
Je suis né en novembre 1913 à Mondovie en Algérie. Mon père Lucien Camus était caviste dans un domaine viticole, il est mort lors de la bataille de la Marne, le 17 octobre 1914. Je n’ai pas pu avoir une enfance comme les autres, car je n’ai vu mon père qu’en photographie et je ne connais que quelques anecdotes de lui. Ma grand-mère paternelle, nous a logés suite à la mort de mon père, car ma famille était pauvre. Ma mère Catherine Sintès ne pouvait pas nous donner une éducation correcte car elle était sourde et illettrée. C’est donc ma grand mère qui nous a élevés avec autorité. J’ai un frère qui s’appelle Lucien, il est sourd et muet, il travaille comme tonnelier.
- Vous avez eu une enfance difficile. A-t-elle été malheureuse ? -
J’ai un souvenir heureux de mon enfance, la pauvreté n’a jamais été un malheur pour moi.
- Quelles études avez-vous faites ? -
En 1923 à l’école primaire, mon instituteur Louis Germain avait remarqué mes capacités et me faisait travailler en dehors des heures de classes. Je lui ai dédié Les discours de Suède le lendemain de mon prix Nobel. Ensuite j’ai obtenu une bourse pour le lycée Bugeaud de 1924 à 1930. Je me suis fait une réputation de gardien de but. En 1930, les médecins me diagnostiquent une tuberculose ; c’est la fin de ma carrière de gardien de but et je ne peux étudier qu’à temps partiel.
- Quelles ont été les répercussions de votre maladie sur votre vie ? -
À la suite des premières attaques de la tuberculose j’ai dû quitter mon foyer familial pour aller vivre chez mon oncle, Gustave Auguste qui était boucher et avait une grande passion pour la littérature. Il a pris en charge une grande partie de mon éducation et me donnait parfois des livres. En 1932 j’ai poursuivi des études en lettres supérieures. J’avais comme professeur Jean Grenier un philosophe essayiste qui me fit connaître Nietzsche. Il est devenu un de mes ami fidèles, je lui ai dédié La Mort dans l’âme, L’envers et l’endroit et L’Homme révolté. La tuberculose m’a empêché de passer mon agrégation de philosophie. Mais pendant cette période j’ai rencontré Simone Hié, elle était une femme libérée et romanesque, et puis je l’ai épousée en 1934 contre l’avis de mon oncle, je suis parti de chez lui. Mon mariage n’a duré que 2 ans.
- Parlez-nous des femmes qui ont compté dans votre vie -
Je suis un séducteur. Il y a donc eu cette histoire avec Simone Hié, mais elle s’est terminée en 1937 car elle m’a trompé. J’ai rencontré Christiane Galindo, elle a été importante car elle tapait mes premiers manuscrits. Ensuite, j’ai eu de grandes amitiés avec Jeanne Sicard et Marguerite Dobrenn.
Il y a eu aussi Francine Faure que j’ai épousée le 3 décembre 1940 à Lyon qui est la mère de mes enfants (Catherine et Jean nés en 1945).
Il y a eu une comédienne Maria Casarès, alors que j’étais toujours marié avec Francine.
Lors de mon voyage aux États-Unis en 1946, il y a eu ma guide Patricia Blake, Catherine Sellers en 1956,
puis Mi, une mannequin.
- Quels ont été vos engagements politiques ? -
En 1933, j’ai milité au mouvement antifasciste, en 1935 j’ ai adhéré au parti communiste, et en 1937 je n’ai pas voulu suivre le revirement du mouvement communiste et j’en ai été exclu.
- Pourquoi avez vous écrit L’Étranger ? -
Je n’avais pas la même vision de la vie, je voulais à travers LÉtranger montrer que ce n’est pas parce qu’on ne montre pas ses sentiments ou qu’on ne ressent pas de la même façon que les autres, que nous sommes différents.
- Est ce que L’Étranger comporte une partie autobiographique ? -
C’est vrai que dans le livre, on peut penser que Meursault « joue » avec les femmes comme moi dans la vraie vie (il ne trouve pas ses mots) mais ce n’est pas intentionnel. Ensuite, en effet, Marie peut avoir une certaine ressemblance avec Christiane Galindo, car je l’ai rencontrée lorsque j’écrivais le roman, et puis Marie a certaines ressemblances physiques avec Christiane comme la beauté, et la couleur de peau.
- Quel est le thème principal de vos écrits et pourquoi ? -
L’idée du suicide est le thème principal de mes essais. J’entame Le mythe de Sisyphe par « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide ». Je tente de montrer dans cet essai la mesure exacte dans laquelle le suicide est une solution à l’absurde.
Cependant, même si le suicide est une manière de résoudre l’absurde, je le rejette, car selon moi, il ne faut pas résoudre l’absurde, mais l’affronter, par la révolte. J’ai développé davantage cette idée dans mon ouvrage L’Homme révolté.
- Vous qui écrivez beaucoup de romans, expliquez-nous d’ où vous vient l’inspiration ? Pensez-vous être un artiste ou un philosophe ?-
Pour expliquer mon attitude, dans certains romans, je parle à travers d’autres hommes même quand j’écris au plus profond de moi même, par exemple L’ Étranger. D’après certaines personnes, mes romans ont un fond philosophique, mais selon moi un roman n’est jamais qu’une philosophie mise en images. Et pourquoi suis-je un artiste et non un philosophe ? C’est que je pense selon les mots et non selon les idées.
- Quel lien aviez- vous avec Jean-Paul Sartre et que s’est-il passé entre vous ? -
Nous nous sommes rencontrés en 1944. Il voulait que je mette en scène Huis Clos, sa pièce de théâtre. En ce temps-là nous étions encore amis. Jean-Paul Sartre et moi-même, nous avions des points communs, nous sommes tous deux écrivains français et philosophes. Nous étions dramaturges, romanciers et des penseurs engagés proches des communistes, et nous croyions en la contestation et la révolte. En 1947 vient la première « dispute ». Elle est causée par une critique de Maurice Merleau-Ponty (existentialiste et phénoménologue) publiée dans Les Temps Modernes, critique dans laquelle mes opinions sont remises en cause. J’ai adressé une lettre à Jean-Paul Sartre dont le titre était « Lettre au Directeur des Temps Modernes » et le début de ma lettre était « Monsieur le Directeur ». Le ton de la lettre n’était plus celui d’un ami, mais celui d’un écrivain mécontent qui écrit au directeur du journal qui l’a injurié. Je reprochais à Jean-Paul Sartre d’être critiqué par des gens qui n’ont jamais mis que leur fauteuil dans le sens de l’histoire. (Il fait allusion à la position de Sartre sur les goulags). La réponse de Sartre ne se fera pas attendre. Tout le monde disait que notre enfance était semblable, mais nous n’avons pas eu la même enfance. Je suis né à Alger dans une famille assez modeste tandis que Sartre vient d’une famille alsacienne, protestante et bourgeoise. Notre seul point commun est que nous avons vécu sans père.
- Qu’avez vous ressenti lorsque vous avez reçu le prix Nobel ? -
Le 16 octobre 1957, j’étais attablé au premier étage d’un restaurant du Quartier Latin, lorsqu’un jeune chasseur est venu m’annoncer que j’avais reçu le prix Nobel de littérature à 44 ans.
J’ai reçu ce prix Nobel car j’ai écrit l’ensemble d’une œuvre qui met en lumière, les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des Hommes. J’étais bouleversé et pour moi ce prix Nobel aurait dû aller à André Malraux, car je le considère comme un maître. J’étais le neuvième Français à l’obtenir. J’ai dédié mon discours à Louis Germain, l’instituteur qui en CM2 m’a permis de poursuivre mes études.
- Avez-vous le projet d’écrire un autre livre ? De quoi parle-t-il ? -
J’ai déjà commencé à écrire un roman, il retrace ma vie à travers d’autres personnages et dans un décor fictif. Jacques Cormery, mon alter ego, est un homme de 40 ans qui retourne dans son Algérie natale d’avant guerre sur les traces de son enfance, il y retrouve sa mère, une femme encore belle mais désormais sourde et distante. Je vais dédier ce roman à mon frère « à toi qui ne pourras jamais lire ce livre » car lui aussi comme ma maman souffre d’illettrisme.
- Nous souhaitons remercier Albert Camus d’avoir donné de son temps pour la rédaction de cette interview.-
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