Raphaël Thiéry - Alexis Louis-Lucas - Michèle Beaumont - Lise Holin - Jacques Arnould et la Compagnie Taxi-Brousse présentent
Métallos et Dégraisseurs
Spectacle théâtral autour de la mémoire ouvrière
Mise en scène et écriture : PATRICK GRÉGOIRE
En 1779, le premier haut-fourneau est installé à Sainte-Colombe sur Seine. L’aventure industrielle va résonner dans le village pendant plus de deux siècles. La fabrique a eu jusqu’à 600 salariés dans le milieu des années 1970. Désormais propriété d’Arcelor Mittal, elle n’emploie plus que 50 personnes et ses jours semblent comptés.
Un bon spectacle vaut mille discours. La fresque de cent cinquante ans de vie ouvrière, déroulée par vingt cinq personnages et jouée par cinq comédiens, est de ceux-là. C’est l’histoire de millions d’hommes et de femmes d’une classe qui, en un siècle et demi, a été aspirée dans le tourbillon de la révolution industrielle avant d’être engloutie par la révolution financière. C’est l’histoire d’un père, d’un oncle, d’une tante etc. que l’on reconnaît soudain, là, présents, tellement vivants, ressuscités d’entre les mondialisés.
Née de la parole d’ouvrier, cette création est une tragi-comédie trépidante aux astuces scéniques incessantes et à l’humour sans concession.
Je suis né à Sainte-Colombe, à côté de l’usine métallurgique, j’ai grandi à Sainte-Colombe, à côté de l’usine métallurgique. Mon père a travaillé à l’usine, mes oncles, mes cousins, mes frères, mes sœurs ont travaillé à l’usine. Il n’y avait là rien de plus normal pour un colombin.
Puis j’ai quitté Sainte-Colombe, et la normalité colombine m’est apparue moins normale.
Il y a deux ans, lors d’un repas de famille, sont remontées en surface des bribes de mémoire. Ces anciens de l’usine réunis autour de la table évoquaient des anecdotes, des luttes, des amis, leurs surnoms, et l’usine prenait tout à coup une consistance que je ne lui connaissais pas parce qu’elle m’était proche de nouveau, sans me baigner de sa quotidienneté. Me devenant proche et lointaine, il m’apparaissait que je pouvais la vivre de l’extérieur. L’évoquer, la chanter, la jouer, l’écrire.
Je réalisais que j’avais vécu à côté d’un bout d’histoire, d’un pan d’humanité que j’avais trop ignoré. Et qu’il était temps de lui donner forme. D’autant plus que l’usine pouvait rapidement disparaître, comme ses anciens qui, de plus en plus souvent, se souvenaient des morts d’abord.
Je ruminais sérieusement le projet d’interviewer les anciens pour faire parler la mémoire de cette usine quand je rencontrai Patrick Grégoire. Il venait d’écrire deux pièces de théâtre, « Les ailes des seuls » et « Y a quelqu’un ? », à partir d’interviews. Il devenait possible de donner une forme à mon désir.
Magnétophone en bandoulière, je partis frapper à la porte des derniers témoins, avant qu’il ne soit trop tard…
L’exposition photographique : “Une vie de Métallos” est proposée en préambule du spectacle.
Toutes les personnes collectées posent avec un objet symbolisant leur vie à l’usine. Les prises de vues sont réalisées par Yves Nivot, photographe professionnel. Cette exposition, installée sur des supports réalisés avec des matériaux métallurgiques a pour fond sonore les paroles des ouvriers.
Elle est simple, cette histoire. Voire basique.
C’est l’histoire de la grandeur et de la décadence de la métallurgie française, pour faire modeste.
C’est l’histoire de tant d’histoires. De tant de Français qui ont cru que l’Histoire était un long fleuve tranquille. […]
Le village de Sainte-Colombe était né de l’usine au milieu du dix-neuvième siècle. L’entreprise avait fait construire des routes, des logements et jardins ouvriers, une école, et elle entretenait l’ensemble. Elle employait six cents personnes au début des années 1970. Elle en compte désormais une cinquantaine, en majorité intérimaires. Les toits des bâtiments qui ne servent pas ont été démontés, les logements et jardins ont été vendus.
Sainte-Colombe, qui vivait au rythme de l’usine, respire désormais à côté des restes qui expirent.
L’entreprise est rachetée tous les deux ans. Le dernier propriétaire en date est un liquidateur indien fort célèbre, et les colombins attendent la fermeture de l’usine comme une fatalité programmée.
C’est cette histoire-là que je tente de raconter à travers sept générations de tréfileurs, à partir, essentiellement, d’interviews réalisées par Raphaël Thiery auprès d’anciens ouvriers de l’usine.
L’écriture du texte s’est appuyée sur une série d’interviews réalisées par Raphaël Thiéry auprès d’anciens ouvriers de l’usine, d’un ouvrier de l’usine actuelle, et de quelques encadrants.
Sept générations de la même famille se succèdent à l’usine. Les six premières réalisent leur rêve : entrer à l’usine de Sainte-Colombe. La septième est intérimaire et cherche mieux, ailleurs...
A partir des thématiques récurrentes repérées dans les interviews, j’ai dressé une liste de dix-sept tableaux. J’ai imaginé, pour chaque tableau, une situation qui me permettait de glisser des phrases ou des concentrés de phrases…
Cent cinquante ans d’histoire traités en une heure et demie à deux heures de spectacle, voilà qui ne permet guère de s’appesantir sur la psychologie du personnage. J’ai donc travaillé sur des archétypes. Il semblait, à entendre les interviews, que la vie d’une majorité d’ouvriers était contenue entre deux pôles : la famille et l’usine.
J’ai donc mis en chair et paroles une famille… et une usine.
La famille est composée de trois membres : le père, la mère, l’enfant. J’ai ajouté un cinquième personnage, celui de l’autorité sous toutes ses formes : l’instituteur, le médecin, le chef de service, le contremaître, l’ingénieur. Et puisque la famille dépend en tout de l’usine, et puisque certains ateliers de l’usine, la clouterie notamment, sont entendus à plusieurs kilomètres, le personnage usine possède le son.
Le personnage usine est percussionniste. Il parle peu. Le minimum.
Mais il dicte sa loi par le bruit.
Au cours des entretiens avec les habitants de Sainte Colombe, l’évocation du son ou des sons de l’Usine a été fréquente.
Les gens avaient du mal à exprimer et définir ce qu’ils avaient dans l’oreille mais des mots revenaient souvent, comme “vacarme, assourdissant !” (Notamment dans les ateliers de la clouterie ou à la câblerie), ininterrompu, rythmique. Ils concluaient souvent par « Ho ! Il aurait fallu que vous entendiez ça ! ». Je crois qu’ils voulaient dire que même après quarante ans passés à l’usine, ce son les impressionnait toujours véritablement.
Il faut aussi penser que l’usine se faisait entendre dans tout Ste Colombe, de façon permanente avec les 3/8, et 365 jours sur 365. Dans un rayon de plusieurs kilomètres l’Usine est ! C’est incontournable ; à tel point que quand les anciens ouvriers évoquent l’usine finissante, ils parlent de silence, ou de rumeur ténue « à se demander ce qu’ils foutent... ».
Dans ces conditions, il est évident que l’usine ne peut être absente ou simplement évoquée dans la pièce. Elle doit être présente et subie, physiquement sur le plateau.
Je travaille en direct, ou en enregistrement préalable. La matière sonore devient ma matière première, je produis ou transforme, à l’image de l’ouvrier, je deviens moi-même une usine à fabriquer du son.
Le travail de création musicale dans le cadre des « Métallos » n’est pas du bruitage, cela n’aurait pas d’intérêt.
Il va consister à trouver, inventer, définir le son de cette Usine qui vit, respire, croît et décroît au rythme des générations d’ouvriers qu’elle engloutit. C’est une prise de parole aux sons métallurgiques. Il ne s’agit plus de cordes vocales, mais bien de câbles vocaux, langage aux phonèmes stridents, grinçants, puissants et sourds.
Enfin, l’installation sonore matérialise physiquement l’Usine, la structure musicale offre un élément de décor important.
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Dernière mise à jour : lundi 24 janvier 2022