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Par : Léo
Publié : 2 juin 2013
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L’Affiche rouge, Aragon et Ferré

Louis Aragon (1897 - 1982) est un enfant illégitime ; son père se nomme Louis Andrieux. Déjà marié, Louis Andrieux ne peut donc pas légaliser sa relation avec la mère de l’enfant, Marguerite Toucas. Et celle-ci, pour éviter la réprobation publique qui à l’époque entourait les mères célibataires, fera passer l’enfant, après quelque temps de mise en nourrice, pour son jeune frère.

Avec André Breton et Paul Éluard, Aragon a été l’un des animateurs du surréalisme.

Il est connu pour son engagement et son soutien au Parti communiste français de 1930 jusqu’à sa mort. Il est aussi, avec Robert Desnos, Paul Éluard, et quelques autres, parmi les poètes qui prennent résolument parti, durant la Seconde Guerre mondiale, pour la résistance contre le nazisme.

À partir de la fin des années 1950, nombre de ses poèmes ont été mis en musique et chantés (par Léo Ferré et Jean Ferrat notamment), contribuant à faire connaître son œuvre poétique. La première chanson tirée d’une œuvre d’Aragon date de 1953 : elle est composée et chantée par Georges Brassens et a pour paroles un poème paru en 1944, « Il n’y a pas d’amour heureux. »

Le groupe de Missak Manouchian et « l’Affiche rouge »

Missak Manouchian est né le 1er septembre 1906 dans une famille de paysans arméniens en Turquie. Il arrive à 18 ans, en 1924, avec son jeune frère à Marseille. En 1943, il intègre les FTP-MOI, un groupe armé des Francs-tireurs et partisans immigrés de Paris.

Au matin du 16 novembre 1943, Manouchian est arrêté. Sa compagne Mélinée parvient à échapper à la police. Missak Manouchian, torturé, et vingt-trois de ses camarades sont livrés aux Allemands de la Geheime Feldpolizei qui exploitent l’affaire à des fins de propagande.

L’affiche "placardée sur les murs des grandes villes de France"
cliquez sur l’image pour la voir en grand.

En février 1944, une gigantesque affiche, tirée par la propagande allemande en 150 000 exemplaires, est placardée sur les murs des grandes villes de France. Elle est aussi reproduite sur des tracts distribués dans les rues. Cette dernière est vite appelée « l’Affiche rouge » dû au rouge vif, présent pour signifier le sang, le crime...

Elle présente les portraits des dix résistants parmi les 23 membres du groupe Manouchian qui seront fusillés au Mont-Valérien le 21 février 1944.

Cette affiche vise à prouver à la population dominée, la France, que les résistants ne sont pas des libérateurs mais des terroristes, et qu’ils ne sont pas un groupe de libération mais un ensemble de personnes composé de communistes, d’étrangers et de juifs, "donc" de dangereux criminels.

Missak Manouchian est fusillé au Mont-Valérien, avec vingt-et-un de ses camarades, le 19 février 1944.

"Strophes pour se souvenir"

Louis Aragon écrit « Strophes pour se souvenir », poème extrait du recueil Roman Inachevé, en 1955, en mémoire du groupe Manouchian.

Vous n’avez réclamé ni la gloire ni les larmes

Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servis simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants

Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents

Tout avait la couleur uniforme du givre
A la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses
Adieu la vie adieu la lumière et le vent
Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent
Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses
Quand tout sera fini plus tard en Erevan

Un grand soleil d’hiver éclaire la colline
Que la nature est belle et que le cœur me fend
La justice viendra sur nos pas triomphants
Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline
Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant

Le poème mis en musique et chanté par Léo Ferré

Léo Ferré a interprété le texte d’Aragon en respectant le rythme du poème.(cliquez sur le lien pour écouter la chanson)

 

Le poème d’Aragon est inspiré de la lettre d’adieu de Manouchian à son épouse Mélinée.

La dernière lettre de Manouchian.

Ma Chère Mélinée, ma petite orpheline bien-aimée,

Dans quelques heures, je ne serai plus de ce monde. Nous allons être fusillés cet après-midi à 15 heures. Cela m’arrive comme un accident dans ma vie, je n’y crois pas mais pourtant je sais que je ne te verrai plus jamais. Que puis-je t’écrire ? Tout est confus en moi et bien clair en même temps. Je m’étais engagé dans l’Armée de Libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la Victoire et du but.

Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand et contre qui que ce soit, chacun aura ce qu’il méritera comme châtiment et comme récompense. Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité après la guerre qui ne durera plus longtemps. Bonheur à tous...

J’ai un regret profond de ne t’avoir pas rendue heureuse, j’aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, et d’avoir un enfant pour mon bonheur, et pour accomplir ma dernière volonté, marie-toi avec quelqu’un qui puisse te rendre heureuse.

Tous mes biens et toutes mes affaires je les lègue à toi à ta sœur et à mes neveux. Après la guerre tu pourras faire valoir ton droit de pension de guerre en tant que ma femme, car je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération. Avec l’aide des amis qui voudront bien m’honorer, tu feras éditer mes poèmes et mes écrits qui valent d’être lus. Tu apporteras mes souvenirs si possible à mes parents en Arménie.

Je mourrai avec mes 23 camarades tout à l’heure avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne et si je l’ai fait, je l’ai fait sans haine. Aujourd’hui, il y a du soleil. C’est en regardant le soleil et la belle nature que j’ai tant aimée que je dirai adieu à la vie et à vous tous, ma bien chère femme et mes bien chers amis.

Je pardonne à tous ceux qui m’ont fait du mal ou qui ont voulu me faire du mal sauf à celui qui nous a trahis pour racheter sa peau et ceux qui nous ont vendus.

Je t’embrasse bien fort ainsi que ta sœur et tous les amis qui me connaissent de loin ou de près, je vous serre tous sur mon cœur.

Adieu.

Ton ami, ton camarade, ton mari,

Manouchian Michel.

P.S. J’ai quinze mille francs dans la valise de la rue de Plaisance. Si tu peux les prendre, rends mes dettes et donne le reste à Armène.

M. M.