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Publié : 23 février 2013
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Zazie subversive et jubilatoire

Deuxième partie des échanges avec Marie-Claude Cherqui après la projection au cinéma l’apollo de Zazie dans le métro de Louis Malle, d’après le roman de Queneau.

Queneau Photomaton

Zazie, une Alice au pays des merveilles moderne ?

Le roman de Lewis Carroll est évidemment la référence fondamentale. Comme les aventures d’Alice, celles de Zazie se déroulent entre songe et réalité. Zazie rêve-t-elle ?

Elle dort pendant toute la bataille finale au restaurant, entre loufiats et clients, clients et forces de l’ordre, bataille peut-être née de son rêve.

Comme dans la pièce baroque du dramaturge espagnol, Pedro Calderón de la Barca, La Vie est un songe, « Paris n’est qu’un songe, Gabriel n’est qu’un rêve (charmant), Zazie le songe d’un rêve (ou d’un cauchemar) et toute cette histoire le songe d’un songe, le rêve d’un rêve, à peine plus qu’un délire tapé à la machine par un romancier idiot (oh ! pardon). »

Alice au pays des merveilles
Film de Tim Burton

Comme Alice, Zazie voudrait bien s’enfoncer "underground", mais le métro est en grève !

Comme Alice, Zazie est curieuse, ne s’étonne de rien et suit des personnages étranges sans souci de ce qui pourrait lui arriver. Elle explore Paris dans tous les sens, de la Tour Eiffel aux entrailles de la terre.

Comme elle aussi, elle questionne des adultes, qui se comportent comme des enfants capricieux, sans obtenir de réponse satisfaisante.

Dans un entretien avec Pierre Dumayet en 1959, Raymond Queneau compare l’histoire de sa Zazie à une initiation comportant des épreuves qu’une fillette doit subir avant d’entrer dans l’âge adulte. Autre similarité donc avec Alice, qui est un conte initiatique. Mais, à la fin du roman, Zazie dit à sa mère qu’elle n’a rien fait pendant ces trois jours, elle a seulement "vieilli." Et les dernières images du film sont celles du début, la voie ferrée sur laquelle roule le train qui remmène Zazie. Qu’a-t-elle appris ? Elle n’a pas vu ce qu’elle voulait voir (le métro), n’a pas obtenu les réponses à ses questions sur la "sessualité". Parodie d’initiation ou bien découverte que personne n’est ce qu’il semble être ?

Zazie, une autre Lolita ?

Le scandaleux roman de Nabokov qui relate la passion amoureuse de Humbert Humbert, le narrateur, pour une nymphette âgée de douze ans et demi, a paru en 1955. Le roman de Queneau, sur un registre léger, ludique, remue des thématiques tout aussi violentes, pédophilie, inceste... mais Louis Malle ne voulait pas refaire Lolita, aussi il a rajeuni Zazie que Queneau voyait plus âgée, quinze ans environ, et qui n’en a que neuf dans le film.

Dans la filmographie de Louis Malle, Zazie précède de nombreux autres enfants. Les enfants de films aussi différents que  Le Souffle au cœur,  Lacombe Lucien,  La Petite,  Au revoir les enfants ont tous en commun d’être des enfants adultes, des enfants qui n’en sont pas, qui ont trop tôt des destins d’adultes.

Post-synchronisation

Pour transposer le roman très théâtral de Queneau, Louis Malle a choisi des acteurs qui viennent du théâtre (Philippe Noiret, Nicolas Bataille, qui a créé La Cantatrice chauve d’Eugène Ionesco), mais aussi du cirque (Annie Fratellini qui incarne Mado petits pieds) et du music-hall.

Et il leur a demandé un jeu très théâtral.

Tous les dialogues sont post-synchronisés. A certains moments dans le film, on remarque de légers décalages entre la voix et les mouvements des lèvres des acteurs ; c’est un effet volontaire. Le flottement que crée ce décalage voix/image renforce le flottement des identités des personnages (Gabriel/ Gabriella, Albertine/Albert, Pédro-surplus/Trouscaillon/ Aroun Arachide) et celui de l’espace (aucun monument parisien n’est identifié par les personnages.)

En guise de conclusion

Quand Zazie dans le métro sort en salles le 28 octobre 1960, il ne remporte pas le succès escompté. Le livre s’était très bien vendu, mais le film a décontenancé les spectateurs qui ne s’attendaient pas à voir ce type de spectacle. Zazie ne s’adresse pas vraiment aux enfants, alors que tout pouvait porter à le croire. Quant aux adultes, ils ne se précipitent pas en masse (à peine 850 000 spectateurs).

Zazie dans le métro est en avance sur son temps et, comme bien d’autres œuvres avant-gardistes, devra attendre quelques années avant que le public et la critique dans sa majorité rejoignent les premiers laudateurs du film tels que Ionesco, Truffaut et Chaplin. (extrait d’un article de Ronny Chester)

Et encore

Clin d’oeil final : quand Gabriel demande à Zazie ce qu’elle veut faire plus tard, elle répond qu’elle veut « être institutrice », « pour faire chier les mômes » ... eh bien la petite Catherine Demongeot, qui l’incarne à l’écran, s’est bien gardé par la suite de se lancer dans une carrière d’actrice mais, par sagesse (ou par pure folie !) a choisi d’embrasser (quelle expression !) celle, je vous le donne en mille, d’institutrice