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Par : Olivia
Publié : 19 décembre 2011
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Qu’est-ce que la violence ?

Concept étudié dans le cadre du Théâtre Forum

Nous avons étudié en cours de philosophie le concept de violence dans le cadre de la mise en place par un groupe d’élèves et Bruno Aucante, comédien et metteur en scène de Barda Compagnie, d’un projet "Lycéens citoyens"  : le Théâtre Forum dont deux représentations ont été données au lycée George Sand, il y a peu de temps. (Cliquez sur les liens pour accéder à la rubrique et aux articles consacrés au projet.)

Qu’est-ce que la violence ? Comme la définiriez-vous ?

Ah... n’est-ce pas ? C’est bien sûr une chose fort peu évidente à faire. 

Le concept de violence est paradoxal parce qu’à la fois nous y sommes habitués (à vrai dire, nous sommes habitués à en entendre parler en raison de la puissance des médias qui sont omniprésents) et qu’en même temps il est difficile à définir.

Il existe dans notre monde toutes sortes de violences : individuelles, collectives, physiques, morales, psychologiques, domestiques, politiques.

C’est ainsi qu’on peut parler d’une violence protéiforme, ou encore polymorphe.

Cependant, derrière toutes ces formes de violence se cache une violence symbolique.

La violence symbolique atteint l’image de soi, l’image du sujet (sujet vulnérable, impuissant, sentiments d’échec et de perte)

Le concept de violence est également difficile à définir en raison de la confusion possible avec le concept de force car étymologiquement violence vient du latin violentia, terme dérivé de vis : la force, la violence.

C’est ainsi qu’on pourra dire que la violence est l’emploi inacceptable de la force.

Elle est une atteinte à la personne humaine, une atteinte qui provoque une condamnation morale.

Reste à savoir au nom de quoi, quelque chose est acceptable ou pas.

C’est ainsi que Laura, élève de la classe de terminale littéraire, est intervenue en proposant et imposant l’idée suivante : n’est-ce pas toutes les violences qui sont psychologiques et morales ? Dans tous les cas, une violence atteindra le sujet. Par conséquent, derrière chaque violence se cache une violence symbolique, mais une violence psychologique/morale également.

Certains élèves de la classe comme Florent, Sophie, Valentin, Laura et David sont intervenus également pour évoquer certains films qui étaient directement liés à notre réflexion sur la violence :

1984, adaptation du roman 1984 par Georges Orwell ou encore La journée de la jupe (film français sur l’enseignement dans des quartiers difficiles) avec Isabelle Adjani. Mais également La Vague, adaptation du roman Di Vell de Tod Strasser, et La Dernière Marche (The Last man walking) avec Susan Surandon et Sean Penn (l’histoire d’un criminel des plus abjects ; le film est tourné d’un point de vue psychologique difficile pour le spectateur qui se surprend à verser des larmes lors de l’exécution de cet homme).

On pourrait poursuivre notre réflexion en rappelant Emmanuel Kant, le philosophe allemand par excellence du dix-huitième siècle, qui sur ce sujet pensait ceci : 

L’homme peut commettre le plus terrible des gestes (par ex : un meurtrier), il n’en reste pas moins qu’il demeure un homme, et que de par sa nature humaine, son humanité, nous nous devons de le respecter.

C’est alors que je suis intervenue dans le débat en me demandant : n’y-a-t-il pas un point à ne pas franchir ? 

Lorsque l’homme dépasse une certaine limite, lorsqu’il a commis un acte particulièrement odieux, ne s’opérerait-t-il pas en lui une déshumanisation ? 

Est-ce que Kant avait conscience des actes des pires criminels de son époque ? Est-ce que si Kant avait vécu dans le XXeme siècle et avait été témoin des pires atrocités de toute l’Histoire, il aurait changé d’avis ? Est-ce que ce sont les médias si puissants et si présents partout dans notre société qui nous indignent de cette incroyable sagesse, cet esprit si lucide et humaniste chez Kant ?

Est-il possible d’accorder son pardon à un autre être humain nous ayant causé le plus terrible des arrachements (celui d’un proche par exemple) ?

Cela requiert une sagesse d’esprit incroyable, ainsi qu’une paix intérieure. Cela est apparemment possible avec le texte dont nous a parlé Bruno Aucante : Ma loulou est partie (l’histoire d’un homme qui a perdu sa compagne, cette dernière s’étant fait poignarder dans la rue par un schizophrène. L’auteur du texte et, par conséquent, le compagnon de la victime, pardonne immédiatement le geste du criminel).

Parlons maintenant d’un personnage de l’oeuvre platonicienne : Calliclès, célèbre personnage du Gorgias de Platon. Voici quelle pensée résulte de ce personnage :

"Vivre c’est essentiellement dépouiller, blesser, violenter le faible, l’étranger, l’opprimé ou tout au moins (c’est la solution la plus douce), l’exploiter".

Comment réagissez-vous à cela ? Cette pensée faisant l’apologie de la violence ne vous parait-elle pas même exagérée, voire ironique ?

En effet, pour Calliclès, la loi de la nature équivaut au droit du plus fort (la domination du puissant sur le faible).

Ainsi l’exagération de certains propos violents les rendent inconcevables et absurdes dans une situation réelle et concrète. Par exemple, un mouvement esthétique italien, le Futurisme, fit l’apologie de la violence (les régimes fascistes comme celui de Mussolini s’en inspirèrent).

Voici quelques extraits du Manifeste du Futurisme  :

"3-La littérature ayant jusqu’ici magnifié l’immobilité pensive, l’extase, et le sommeil, nous voulons exalter le mouvement agressif, l’insomnie fiévreuse, [...], la gifle et le coup de poing"

"9-Nous voulons glorifier la guerre,- seule hygiène du monde- le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme".

Poursuivons avec l’analyse du"violent" de Gusdorf dans son ouvrage La Vertu de force (1957) - "le violent désespère l’humain".

Voici quelques extraits :

"La violence est cette impatience dans le rapport avec autrui, qui désespère d’avoir raison et choisit le moyen court pour forcer l’adhésion..." 

"Toute violence, [...] poursuit son propre suicide. Le violent, incapable de se contenir, recherche dans sa propre frénésie une sorte d’apaisement magique, comme si en augmentant le volume et l’intensité de sa voix, en enflant les muscles, il retrouvait cette majorité qu’il sent, devant l’obstacle, confusément perdue. La décharge affective et musculaire peut au surplus procurer le retour au calme, et d’ailleurs le regret de l’excès commis, la honte pour s’être conduit comme un enfant. [......] Ce qui est obtenu par violence demeure en effet sans valeur "

Examinons la réflexion d’Emmanuel Levinas dans Ethique et Infini (1982) sur la violence et le visage :

" Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence. En même temps, le visage est ce qui nous interdit de tuer. [...] le visage est sens à lui seul. Toi c’est toi. En ce sens [...] le visage n’est pas "vu". [...] Le visage est ce qu’on ne peut tuer, ou du moins ce dont le sens consiste à dire : "tu ne tueras point"."

Nous pourrions également parler de Gandhi et de la non-violence.

La non-violence est peut être la raison d’être de la philosophie, et elle requiert une force morale. Gandhi a pu triompher de la puissance anglaise. Mais seule la guerre a pu venir à bout de la violence nazie.

On pourrait terminer par quelques citations : 

"La violence a coutume d’engendrer la violence" Eschyle

"La violence qu’on se fait pour demeurer fidèle à ce qu’on aime ne vaut guère mieux qu’une infidélité" François De La Rochefoucauld

"Celui qui vole le droit des peuples a peu de chances de bien terminer sa vie" Joost Van Den Vondel

"La vie est née dans la violence. Sur la tête de chacun de nous pèse la malédiction ancestrale de cinquante millions de meurtres" H.G.Wells

"La soumission du peuple n’est jamais due qu’à la violence et à l’étendue des supplices" Sade

Remerciements : à Madame Chauvet pour m’avoir dirigée vers les textes les plus probants, ses recherches indénombrables pour satisfaire notre curiosité, et pour son rôle d’animatrice de débat incarnant la défense, ou l’opposition avec l’esprit critique philosophique.