Vous êtes ici : Accueil > Archives du Blog > Master Minds > Philo Mag > Voltaire et l’affaire Calas
Par : Doriane, Jenny
Publié : 19 octobre 2016
Format PDF Enregistrer au format PDF

Voltaire et l’affaire Calas

De son vrai nom François-Marie Arouet, Voltaire est né à Paris le 21 novembre 1694 dans un milieu bourgeois aisé.

Cet homme de lettres, philosophe, écrivain et auteur dramatique du siècle des Lumières s’est avant tout fait connaître pour son combat en faveur de la raison, l’humanité et la tolérance.

En effet, le siècle des Lumières est une période de l’histoire moderne se caractérisant par un grand développement intellectuel et culturel en Europe – ainsi qu’aux États-Unis. Pour ces philosophes, la littérature est conçue comme une arme véritable ; par conséquent, leur pensée se fait nécessairement réformatrice – remettant en question des valeurs traditionnelles telles que la religion, l’éducation, la monarchie absolue etc. L’attachement qui est porté à la raison par ce mouvement de pensée pose problème dans la France de l’Ancien Régime et ne peut alors s’exprimer pleinement que dans la polémique et c’est cette polémique même qui permet d’alimenter les différents genres de la littérature.
Voltaire devient donc l’un des principaux représentants de cette philosophie contre l’obscurantisme et le fanatisme religieux. Dans sa volonté de systématiquement vouloir écraser ce qu’il nomme ’’l’Infâme’’ – c’est-à-dire l’Eglise catholique –, Voltaire s’est forgé une solide réputation qui lui permit parfois de jouer de sa notoriété pour défendre causes et injustices ; tel est le cas pour l’affaire Calas.

L’affaire Calas est une affaire d’ordre judiciaire, s’étant déroulée de 1761 à 1762, et dont l’absurdité s’explique par l’intolérance religieuse qui continuait de persister à l’époque.

En voici donc une courte présentation :
Le soir du 13 novembre 1761, à Toulouse, Marc-Antoine Calas est retrouvé pendu dans la boutique de son père, Jean Calas. La famille découvrant le corps ainsi, décide de maquiller ce suicide en meurtre, afin d’éviter à leur fils les châtiments infligés au corps du suicidé (en effet, à l’époque, se donner à soi-même la mort était considéré comme une violation de la loi divine, ce qui eut pour conséquence première, la privation de sépulture ecclésiastique, et ce dès le sixième siècle. Plus tard, au treizième siècle furent instaurés de véritables procès au cours desquels le juge prononçait une peine, portant à la fois sur les biens et le corps du suicidé). C’est donc dans le but de sauvegarder la dignité de leur fils et de leur famille entière que les Calas font passer cet acte pour un assassinat. Or ce subterfuge ne fonctionne pas, et c’est la calomnie – c’est-à-dire le peuple, par le biais de monitoires –, encouragée par la passion religieuse, qui accuse Jean Calas d’avoir tué son fils afin de prévenir sa conversion au catholicisme.

Après son arrestation, la famille Calas est interrogée par les Capitouls ; il s’agit ici de conseillers municipaux de la ville de Toulouse disposant de fonctions judiciaires. En premier lieu, la famille parle d’un crime de rôdeur, mais finit par avouer la vérité quant à la mort de Marc Antoine, soit le suicide. Or, en novembre 1761 les Capitouls affirment la culpabilité des cinq suspects parmi lesquels nous trouvons Jean Calas, sa femme, un de leur fils Pierre et l’un de ses amis ainsi que la servante de la famille. Le Parlement, qui prend alors appui sur les enquêtes des Capitouls, confirme les précédentes affirmations, bien que tous aient plaidé leur innocence. Jean Calas est condamné, par huit des treize juges, au supplice de la roue, à l’étranglement, ainsi qu’à la destruction de son corps par le feu ; cette exécution eut lieu le 10 mars 1762.

Pierre – le fils –, alors exilé en Suisse se rend à Genève où il fait la rencontre de Voltaire, qu’un marchand marseillais avait prévenu de l’affaire. Le philosophe décide donc de mener sa propre enquête, bien qu’il croit en la culpabilité de Jean Calas et en l’excès du fanatisme huguenot. Il finira cependant par être convaincu de son innocence en raison de certaines contradictions de jugement lors du procès ainsi que par la sincérité du fils de l’accusé.

Dès lors, le philosophe décide de prendre l’affaire en main et travaille sans relâche pour la réhabilitation de Jean Calas.

Il rédige le Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas en 1763. Bien que cet ouvrage prenne racine autour de l’affaire Calas, Voltaire en fait une œuvre plus générale et élargit ses perspectives à une plus vaste réflexion sur l’intolérance, toujours en gardant à l’esprit son combat contre le fanatisme religieux et l’obscurantisme.

En voici un extrait :

"Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un coeur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s’enorgueillir. Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant." 

extrait du chapitre XXIII intitulé Prière à Dieu 

Finalement, Jean Calas et sa famille sont définitivement réhabilités à l’unanimité par la Chambre des requêtes de l’hôtel, [1] le 9 mars 1765.

Notes

[1Cour souveraine composée de maîtres des requêtes, pour juger les procès entre les officiers de la cour et les causes que le roi leur renvoie.