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Publié : 15 novembre 2015
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Publication des nouvelles distinguées par le jury : "Les Méduses".

PREMIER PRIX du Concours George Sand de la Nouvelle : Emeline Sauser, 1ère L, Lycée Grandmont , Tours.

X ouvrit ses volets. La mer, toujours la mer à perte de vue, qui s’écoule doucement. Même au bout de 10 ans, il se réveillait tous les matins en se demandant comment était- ce possible autant d’eau. Une sorte d’attraction naturelle. Il alluma le poste de télévision adjacent au lit, pour dissiper ce silence contraignant. La dame sur l’écran avait l’air fatiguée, quelque peu déstabilisée de savoir que tous ces gens la regardaient dans le blanc des yeux, par habitude, la télévision c’est comme la mer, une attraction humaine vers ce qui est lumineux, parle, présence chaleureuse. Grand soleil sur le Nord Ouest de la France parait-il, puis la croissance en baisse de 2%.

Un invité, pour parler du terrorisme, cette menace. X enfila d’abord son caleçon, des chaussettes noires, le pantalon puis la chemise, gestes - fantômes, des gestes que le cerveau ne commande plus, ce sont les mains qui dirigent, qui attachent le veston, le premier bouton puis le deuxième. Daesh a brûlé des oeuvres d’art, et même des fauteuils la semaine dernière, les forces extrémistes interdisent désormais la musique au sein de leur état. X eut un rire nerveux, du fond de la gorge, une sorte de petit ricanement animal, il s’imaginait expliquer a un habitant d’une autre planète que sur terre on interdisait la musique au nom d’un esprit clairvoyant qui s’appelle Dieu. Que c’est grotesque, on pourrait en faire une pièce de théâtre. Il s’assit sur le lit et essayait d’accrocher un intérêt à la blonde colorée qui semble désorientée par les paroles du professionnel en communication terroriste de la grande école en master de langues agrégées. Un interlude musical, puis une vidéo floutée, un homme en turban qui hurle à la caméra qu’on va tous finir carbonisés. X eut un mouvement de recul, cet homme avait prononcé ça comme une promesse, vous allez tous finir carbonisés. Les explications de l’intervenant reprennent, il est fort possible que l’Etat Islamique ait dans quelques mois l’arme atomique d’après les recherches de la CIA. X éteignit brusquement le poste, le silence l’envahit il le sentait ce vide qui remuait ses hanches, ses intestins, comme on manipule un verre de terre avec un bâton.
Dans le tramway, il y avait une grande fille toute pâle en face de lui. Elle remuait la tête, bercée par la musique qui traversait les écouteurs. Est ce que quand elle explosera, elle dodelinera encore de la tête ? Ce qu’on est serrés, les humains sont animaux, bruits d’intestins qui gargouillent, les souffles chauds, les yeux qui se cherchent vers la vitre, la pluie s’écrase sur les panneaux publicitaires pour des yaourts aux fruits. X sentait que le vide l’écrasait, comment dire à tous ces gens qu’ils allaient finir grillés ? Une bande de garçons riait bruyamment en mâchant du chewing-gum, c’est une salle de spectacle pour eux, les humains sont des animaux, lequel sera le dominant de la meute, sale homo va, file moi une clope.
Il arriva devant la tour du CID, Commerce International Development, on dirait une fusée qui va s’envoler, une forme oblongue comme ça, pointée vers le ciel. Ses chaussettes trempaient dans une flaque où se noyaient un élastique et un mégot. Bonjour Anne, oui oui ça va je vais me faire du café, j’y pensais tu trouves pas qu’on dirait une fusée ? Oui c’est la pluie qui me donne l’âme poétique comme tu dis. Le dossier de Marc est dans le tiroir 341, oui mais le bâtiment, il ressemble à une fusée, c’est étrange tu ne trouves pas ? Il passa sa tête derrière le rideau, et écrasa son nez à la fenêtre, mon nez est une anémone. Si la fusée explose, je serai pas le premier touché, c’est les étages au dessus. Cela dit, ça dépend si l’explosion vient du ciel ou de la terre. Oui Anne j’arrête de rêvasser, c’est la pluie qui me fait trainer comme ça, j’ai envoyé le mail à l’agence la réponse donnait signe de leur volonté de participer au projet et d’investir, moins que la somme indiquée. Lorsque Anne explosera, se petite bouche se contractera, elle criera très aigu, sa jupe à franges volera lourdement, on verra sa culotte, une grosse culotte bouffante. Je vais prendre ma pause oui je rappellerai l’agence, oui je serais ferme avec eux. Il prit l’ascenseur, appuya sur le bouton vers du sous-sol, c’était le parking. Il aimait cette odeur d’essence, du parfum de femme accroché au hasard sur les poutres, les radios qui s’éteignent brusquement, toutes ces voitures ça le calmait un peu. C’est rassurant une voiture, surtout les Clios avec leurs yeux ronds, ça comprends rien une voiture, pourtant elle a assisté aux disputes tu roules trop vite, freine, à l’amour confiné sur la banquette arrière, les départs en vacances, les retours de vacances des brindilles sous le siège arrière. La voiture de quelqu’un c’est le miroir de son âme, c’est étrange, Patrick était tout à fait le genre d’homme à avoir des sièges en cuir.
T’as refait une crise ? X tourna les yeux vers son interlocuteur. Oui, je suis venu m’isoler un peu, quelel chaleur en haut, c’est quand qu’ils installent la ventilation au quatrième, on crève nous.


X se dirigea vers le pont qui traverse la ville. Je ne sais plus vraiment son nom, c’est un grand pont qui s’étend, qui semble pouvoir plier au moindre souffle du vent. Il se fondit dans la masse, immobile. Les gros mangeaient leurs sandwiches, des filles s’embrassaient avec la langue en fermant les yeux, la famille réunie pour le voyage dans la métropole touristique, ça sent la crème au chocolat, l’haleine des ivrognes dessoûlant sur le bord du pont, recroquevillés près du trottoir rempli de chewing-gum.
Il ne se rappelait plus les visages, les discussions de la masse étaient comme une douce fumée qui endort, le lave-vaisselle à changer je t’aime encore mon amour attends-moi, donne la main à maman non, je t’aime maman, le lave amour donne-moi la main mais sur le bout des doigts cette fois. Les bouches, les yeux, les nez, les cheveux défilaient, il se rendit compte de toutes les compositions que pouvait avoir un visage, étrange animal. La foule le traversait, comme une toile d’araignée un peu opaque, dans laquelle on laisse des cils. D’un coup il hurla, un grand cri rauque, qui s’accroche sur les parois du pont, dans les chaussures empressées des touristes. Regards surpris, c’est seulement ça, il serait l’anecdote autour de la salade ce soir.

Il regarda sa montre, pas l’heure de rentrer. Près du périphérique il se mit en évidence, et leva son pouce, sa cravate tourbillonnant dans le vent comme un cerf volant. Une femme le prit.
Vous allez où ? Où vous irez peu importe. Elle rit, remet les mèches rebelles en place, baisse le son des animateurs radio qui rient grassement dans le micro. Il se trouve que je vais dans le Calvados, je ne travaille pas ici, d’accord eh bien montez, oui les bouchons à l’heure de pointe sont terribles.
Vous partez sans bagages à l’aventure, oh je comprends que ma question soit déplacée. Vous habitez où ? Quelle chance, le prix du mètre carré devient aberrant. X laissait filer le silence, qui semblait gêner la femme.Puis finalement, elle remonta le son de sa radio, qui créait un peu de liant.
X se demanda ce qu’il fuyait comme ça et il se rappela des prédictions de l’attentat, des explosions d’Anne qui saute, qui brûle. A la mer il n’y a jamais d’explosions.
On est arrivé, oui pas de soucis, de rien, bonne soirée.
X avisa la grève, fuyante, l’eau qui reculait doucement. Le soleil coulait en oranges liquides sur la plage. X s’approcha de l’eau, une sérénité rare l’envahit, plus aucun humain autour. Les larmes coulaient seules, sauvages, sur ses joues creusées, et tombaient sur ses chaussures vernies. Il les enleva, et avança. Ses chaussettes se gorgeaient du remous des vagues. Une petite méduse violette flottait, elle semblait danser langoureusement. X respira longuement et marcha à petits pas dans l’étendue, il serait à l’abri de tout, du sang, des télévisions qui font une présence de la radio qui comble la gêne. Il avait de l’eau jusqu’à la gorge maintenant.