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Publié : 17 avril 2012
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Les TL au théâtre à Vierzon, Dialogue aux Enfers de Maurice Joly.

Le Prince face à l’Esprit des lois...

Ce mercredi 11 avril, la classe de terminale littéraire, ainsi que deux autres élèves du lycée, se sont rendus au théâtre du Mac-Nab à Vierzon, afin d’assister à la lecture théâtralisée du texte politico-philosophique de Maurice Joly, Dialogue aux enfers par la compagnie tourangelle L’Echappée belle.

Entrons dans l’oeuvre...

Dans ce texte, il est question de la rencontre fictive et fantastique en enfer, entre deux philosophes qui ont deux siècles de différence : Machiavel (en rouge) du XVIe siècle et Montesquieu (en vert) du XVIIIe siècle.

L’oeuvre de Machiavel est concentrée dans son ouvrage Le Prince, dans lequel il explique quel doit être selon lui le comportement du Prince, du chef. Selon Machiavel, ce qui devrait primer pour les Princes, c’est l’intérêt général de la Nation.  En effet, selon Machiavel, les Princes peuvent avoir recours à des moyens répréhensibles, immoraux, dans le but de rétablir l’ordre, la sécurité et la paix. C’est ce que Machiavel nomme "la raison d’Etat". 

"La fin justifie les moyens." 

Quant à Montesquieu, on connaît sa philosophie à travers son oeuvre De L’Esprit des Lois, qui est, dit-on, l’oeuvre de sa vie. Cet ouvrage couvre "les lois, les coutumes et les divers usages de tous les peuples du monde", c’est-à-dire les mécanismes de l’histoire d’un peuple. C’est à travers ce texte qu’apparaît pour la première fois la doctrine de la séparation des pouvoirs : exécutif, législatif et judiciaire. D’après Montesquieu, l’Etat démocratique est, le garant de la liberté des peuples ; une liberté garantie par des lois justes.

"La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent."

Puisqu’il s’agissait d’une lecture théâtralisée, et non d’une pièce de théâtre, les comédiens se sont réservé le plaisir de tirer au sort le personnage qu’ils allaient incarner par la puissance du verbe. Une fois les "rôles" attribués, Philippe Ouzounian enfile la blouse rouge, pour Machiavel, tandis que Didier Marin enfile la blouse verte pour Montesquieu.

C’est alors que débute la lecture. Une lecture d’une heure, qui en réalité, comme nous l’ont appris les comédiens, ne correspondait qu’à un quart de l’ouvrage de Maurice Joly. 

Ce qui nous a surpris, c’est que l’on s’attendait à un véritable "clash" des philosophes, et donc de leurs théories, dans une véritable dimension manichéenne. Or, comme l’a dit l’un des comédiens lors de la discussion après la lecture, Montesquieu était là pour "apporter de l’eau au moulin" de Machiavel. En effet, Montesquieu répliquait à Machiavel en l’encourageant à progresser dans sa réflexion, à gravir pas à pas la pyramide qui fait du prince un dictateur. 

Les théories politiques exposées par Machiavel étaient tout bonnement celle d’un despote : la concentration des trois pouvoirs en la main de l’exécutif, définition-même de la tyrannie, le contrôle de la presse où le Prince peut exercer la censure à outrance, la place de l’armée soumise aux décisions du Prince, l’entreprise de la construction d’un palais monumental à l’image de la grandeur du Prince (référence à Louis XIV)...

L’échange

Nous avons eu ensuite l’occasion de nous exprimer avec les acteurs en fonction de nos interprétations. En effet si les acteurs ont fait le choix d’une lecture, c’est principalement pour s’entretenir ensuite avec nous. Et la conversation fut vive et passionnante.

Et ce dans la mesure où le texte, l’argumentation, de Machiavel correspond tout à fait à quelques despotes actuels et passés. Ce philosophe italien recommande au Prince de museler la presse, de l’utiliser afin que le peuple accepte sa condition, voire même, l’apprécie. Il doit de plus pratiquer l’art de la représentation, du jeu d’acteur en quelque sorte, en mettant en avant ses glorieuses actions (ériger un palais, conquérir des territoires...), par des discours enflammés ou des phrases déjà toutes faites qui se prêtent à toutes sortes de situations délicates. 

Tout cela n’est pas sans rappeler, et les spectateurs n’ont pas manqué de le remarquer, le discours de certains de nos politiques d’aujourd’hui ou de jadis. Pour tous les spectateurs présents, il fut évident d’évoquer la dictature de la Corée du Nord qui semble suivre à la lettre ce programme machiavélique. En effet, la maîtrise en cet Etat est telle que nous ne savons rien de ce pays, les seules images qui nous parviennent sont bien entendu manipulées par les hauts dirigeants du pays. Ces images font de ce régime une force militaire ou encore nous ont montré des scènes de chagrin national à la mort de Kim Jong Hun. Les spectateurs ont tout de suite fait le lien avec Machiavel qui déclarait qu’il valait mieux se faire craindre que se faire aimer. La mise en avant de la puissance militaire de l’Etat oeuvre bien sûr à l’instauration d’une terreur dans le but d’étouffer les prémices d’une révolte. 

La modernité du texte de Machiavel fut aussi flagrante au niveau économique et nous annonce déjà les dérives de notre système permettant "qu’une poignée de gens regorge de superfluités, tandis que la multitude affamée manque du nécessaire" comme disait un autre philosophe, profondément démocrate, Jean-Jacques Rousseau. Les échanges fusèrent dans les rangs avec un tel sujet. Mais il est difficile de comprendre notre système capitaliste. 

Une hypothèse émergea de ce débat. En effet dans ce dialogue Machiavel se défend contre les accusations de Montesquieu affirmant que son oeuvre, Le Prince, ouvre la voie au despotisme. Il affirme faire étalage de la réalité des hommes, de la nature par essence corrompue des hommes. Ainsi les spectateurs se sont demandé si ce texte, et l’oeuvre de Machiavel, n’avaient pas pour but de dénoncer les régimes autoritaires. Un homme a même élevé la voix dans la salle pour qualifier le machiavélisme d’"humanisme". A débattre.

Cet échange fut riche et passionnant. Et ce dans la mesure où chacun affirmait ses idées selon son expérience, ses orientations et ses convictions, aussi différentes soient-elles. Les comédiens étant très ouverts, l’ambiance était au partage, ce qui nous a tous conquis.

 

Pour plus d’informations au sujet de la compagnie L’Echappée belle  :

http://www.cie-echappeebelle.fr/