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Par : Sophie
Publié : 27 mars 2012
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Le Discours de la servitude volontaire, signé Etienne de la Boétie.

« Le second Budé de son siècle », Arnaud du Perron, humaniste.

C’est une excitation toute particulière qui agite la classe de Terminale littéraire, puisque ce mardi 27 Mars, nous nous rendrons Châteauroux, afin d’y déguster la représentation théâtrale du Discours de la servitude volontaire

Waouh ! Vous aussi avez été choqué par l’union paradoxale des termes "servitude" et "volontaire" ?

Et pourtant, il s’agit d’un texte politico-philosophique écrit par un jeune érudit du XVI° siècle, qui n’avait que dix-sept ans à la rédaction de cet essai. Ce petit génie, c’est Etienne de la Boétie.

Un nom bien souvent associé à celui de Montaigne, son ami, qui dit de lui : "Parce que c’était lui, parce que c’était moi."

Ce qui n’est pas sans nous rappeler la celèbre lettre de François Rabelais à Erasme : "Vous êtes mon père spirituel et ma mère de substitution." 

La Boétie, le parfait humaniste renaissant, poète, et penseur politique.
« Fleuve oratoire », Mesnard.

Il faut lire son texte pour capter sous le style du jeune érudit renaissant, la philosophie de l’homme qui s’y déploie...

 

La Boétie grandit au cours d’une époque complexe et trouble, dans un climat d’intolérance, de persécutions religieuses, en somme d’insécurité où de féroces répressions font rage contre les protestants (Affaire des Placards entre autres...). Le seizième siècle est celui de la Renaissance, du bouillonnement des idées politiques des grands penseurs tels qu’Erasme, Budé, Rabelais, Montaigne, Machiavel... C’est un siècle au cours duquel la Réforme et l’Humanisme  se servent l’un à l’autre d’instrument.

La Boétie naquit et grandit à Sarlat en 1530. Issu d’une famille de magistrats, il grandit dans un milieu éclairé. Il est éduqué par son oncle, un prêtre féru de philologie hellénique et de théologie (Ponocrates ?) Le jeune Etienne développe très vite un amour pour les lettres classiques, qui ont une place éminente chez les érudits du XVI° siècle. A l’âge de seize ans, il sait déjà traduire des oeuvres de Platon ou Xénophon. Etudiant amoureux des humanités nouvelles, féru de science juridique, La Boétie suit des études de droit à l’Université d’Orléans, avant d’intégrer la Cour de Bordeaux, où il rencontre Montaigne. A l’été 1563, il tombe brusquement malade (de la dysenterie ou de la peste, disent les spécialistes). Il meurt à Bordeaux à l’âge de 33 ans. Montaigne, son fidèle ami, recueille ses derniers soupirs.


Etienne de la Boétie, ayant mis tant de conscience dans l’accomplissement de ses tâches professionnelles et ayant à la fois  à la foisàmené une vie brève, n’a pas eu le temps de publier ses écrits. Montaigne publia une partie de ses œuvres, en prenant soin de laisser inédits les textes qui touchaient à la politique, puisque une pareille époque de troubles appelait à la prudence.

Le Discours de la servitude volontaire ou Contr’un (qui résonne de façon pertinente avec le terme "contrat") oeuvre principale de la Boétie, s’inscrit dans un contexte polémique et militant.

D’ailleurs, on en fait toujours l’usage pendant les périodes agitées de l’histoire de France,

ou d’ailleurs, si nous regardons l’affiche choisie par le metteur en scène, Stéphane Verrue... C’est une oeuvre à visée générale, qui s’adresse à la fois aux peuples et aux Princes.

La Boétie nous y révèle sa lucidité réaliste, frappante par sa fraîcheur et ses accents de modernité.

La Boétie y dénonce la maladie à laquelle s’abandonnent les peuples sous le joug de leurs maîtres, et il s’interroge sur la thérapeutique qui ferait cesser de tels maux. Il entreprend donc d’analyser et d’expliquer la servitude des peuples à la fois par les tendances de la nature humaine et par le rôle néfaste des tyrans et de leurs complices.

  • Comment expliquer ce phénomène par lequel les hommes se soumettent collectivement et librement à une autorité supérieure ?
  • Déjà vu avec Hobbes, qui critique l’absolutisme dans Le Léviathan. C’est l’image du frontispice du Léviathan.

 

« Chose vraiment étonnante — et pourtant si commune qu’il faut plutôt en gémir que s’en ébahir -, de voir un million d’hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un, qu’ils ne devraient pas redouter — puisqu’il est seul — ni aimer — puisqu’il est envers eux tous inhumain et cruel. »

  • D’où vient ce « monstre de vice » ?

La Boétie confronte le paradoxe de la servitude volontaire avec l’essence naturelle de l’homme : comment les hommes peuvent-ils se complaire passivement dans les chaînes de l’esclavage alors que leur nature les porte vers l’amour agissant de la liberté ?

A travers une analyse psycho-sociologique, La Boétie cherche à comprendre cette situation paradoxale, proprement inconcevable, qui, pourtant, existe. Il s’agit de la question du rapport des gouvernants et des gouvernés.

Selon La Boétie, le problème est psychologique et renvoie à la dimension énigmatique de la condition humaine en parfait désaccord avec la nature humaine. En effet, l’anomalie résiderait dans la dé-naturation des gouvernés et la dé-naturation des gouvernants.

A travers ce texte, l’aversion qu’éprouve la Boétie pour les fanatismes et leur cortège de comportements extrémistes est patente.

La Boétie lance à l’adresse des peuples qui se laissent asservir et des princes qui se plaisent à les asservir, un appel au bon sens dans lequel vibre le souffle de la liberté. 

« C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge » 

Les peuples sont "insensés" et "aveugles" ; il suffirait que les hommes désirent vraiment la liberté pour qu’ils l’aient. Selon La Boétie, la liberté est un sentiment vif interne qui est le privilège de l’humaine nature.

« La liberté est donc naturelle ; c’est pourquoi, à mon avis, nous ne sommes pas seulement nés avec elle, mais aussi avec la passion de la défendre ».

« Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude. » 

Le risque de dérive est constamment présent puisque les Gouvernants sont si facilement enclins à transformer la contrainte du pouvoir en violence ou en châtiment. 

« Certes, comme le feu d’une petite étincelle grandit et se renforce toujours, et plus il trouve de bois à brûler, plus il en dévore, mais se consume et finit par s’éteindre de lui-même quand on cesse de l’alimenter, de même, plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus ils ruinent et détruisent, plus où leur fournit, plus on les sert. Ils se fortifient d’autant, deviennent de plus en plus frais et dispos pour tout anéantir et tout détruire. Mais si on ne leur fournit rien, si on ne leur obéit pas, sans les combattre, sans les frapper, ils restent nus et défaits et ne sont plus rien, de même que la branche, n’ayant plus de suc ni d’aliment à sa racine, devient sèche et morte. »

« Il y a trois sortes de tyrans.

Les uns règnent par l’élection du peuple, les autres par la force des armes, les derniers par succession de race. Ceux qui ont acquis le pouvoir par le droit de la guerre s’y comportent — on le sait et le dit fort justement comme en pays conquis. Ceux qui naissent rois, en général, ne sont guère meilleurs. Nés et nourris au sein de la tyrannie, ils sucent avec le lait le naturel du tyran et ils regardent les peuples qui leur sont soumis comme leurs serfs héréditaires. Selon leur penchant dominant — avares ou prodigues —, ils usent du royaume comme de leur héritage. Quant à celui qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu’il devrait être plus supportable ; il le serait, je crois, si dès qu’il se voit élevé au-dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi qu’on appelle grandeur, il décidait de n’en plus bouger. »

Pour que le tyran soit tout, il faut que le peuple ne soit rien : « Le tyran ôte tout à tous. »

Le tyran est un sordide et froid calculateur pour qui la bonne foi, l’intégrité et la constance n’ont pas de sens.

 Dans Le Discours s’unissent la magie et la puissance du verbe.

La Boétie use d’une éloquence antique qui puise d’abondance aux sources grecques et latines, dans la mythologie, mais aussi dans les légendes et les fables. En effet, l’nspiration antique est omniprésente dans le discours. La Boétie, à l’école des Anciens, d’Athènes, de Thèbes, de Syracuse ou encore de Rome, a puisé sa haine contre les tyrans.

Ainsi, le Discours est une oeuvre oratoire.

La Boétie, au seuil de la modernité, a proposé une réflexion politique assez prégnante pour interpeller encore le lecteur du XXI° s débutant : l’exemple parfait est celui du Printemps arabe de 2011. Ainsi, le discours dépasse de manière évidente l’actualité de son temps.

 

Etienne de la Boétie veut COMPRENDRE comme il se peut faire qu’un peuple entier préfère ployersous le joug de la tyrannie d’un seul homme, acceptant de le souffrir plutôt que de le contredire.

On pourrait admettre que des hommes se laissent envoûter par les soins ou par les promesses de quelques héros glorieux : le prestige du chef charismatique, le plus fort, le plus habile, a toujours raison de la lourdeur des masse...

C’est une anomalie monstrueuse que de voir un peuple entier ployer sous le joug d’un seul qui n’a ni force ni prestige : d’où vient ce « monstre de vice » ?