En 1972, Luc Bondy présente une première mise en scène des Chaises à Nuremberg.
« Ionesco était très ami avec mon père. Il travaillait pour une revue que dirigeait ce dernier, qui s’appelait « Preuves ». A 17 ans, je savais déjà que je voulais faire du théâtre et de la mise en scène. Il s’avère que Ionesco mettait en scène pour la première fois une pièce intitulée Victime du devoir à Zürich. Il avait besoin d’un traducteur et c’est ainsi que j’ai pu l’accompagner dans son travail pendant plusieurs semaines. C’était je crois en 1968, car je me souviens qu’il était très « remonté » contre la révolte de 68.
C’était un homme qui avait un mélange d’intelligence, d‘intuition et de grande naïveté, quelque chose de presque enfantin par moments, un grand créateur qui a inventé un monde, comme on peut le dire de Beckett. [...]
Ionesco affirmait que « [son] théâtre est un théâtre de la dérision. Ce n’est pas une certaine société qui me parait dérisoire. C’est l’homme. »
J’avais 17 ans mais je savais que je passais mes journées et mes nuits avec une personnalité hors du commun. On côtoie très rarement dans la vie quelqu’un avec une telle liberté de parole, sans aucun à- priori. Il était narquois, se fichait des gens qui avaient des idées préconçues. [...]
Quand j’ai connu Ionesco, j’avais l’impression d’être comme avec un copain d’internat. Il aimait bien faire des blagues qu’il inventait avec génie, et en même temps sa vision eschatologique du monde le rendait triste et dépressif. Il était très pessimiste, se sentait en permanence menacé par le totalitarisme. [...]
A l’époque, elle s’inscrivait dans une forme de théâtre assez novatrice, même si elle a été écrite bien avant les années soixante-dix. Il s’agissait de s’interroger sur comment jouer et jusqu’où aller avec ce qu’on appelle l’imaginaire.
La dérision de l’écriture me parait soudainement « réaliste » : quoi de plus normal que d’imaginer une fête ? La dernière fête avant de se suicider ? [...]
C’est mon désir de distribuer deux acteurs en France que j’aime beaucoup - Micha Lescot et Dominique Reymond - qui m’a poussé à mettre à nouveau en scène cette pièce. D’abord parce qu’ils correspondent à la didascalie de Ionesco, c’est-à-dire de choisir des acteurs jeunes pour jouer des vieux.
La proposition de Ionesco doit être complètement crédible dans sa folie : on devrait pouvoir deviner aussi tous les acteurs que j’aimerais distribuer mais qui ne sont ici que les invités imaginaires de la pièce. Ils doivent savoir jouer physiquement ces « autres » qui ne sont pas là ».
Luc Bondy, mai 2010
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