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Par : Doriane
Publié : 1er décembre 2016
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Oedipe Roi en affiches

Première partie

En 1967, Pier Paolo Pasolini propose une adaptation – ou plutôt une réécriture – de classiques de la littérature antique, à savoir deux tragédies de Sophocle, Œdipe Roi et Œdipe à Colone, ainsi que le mythe même d’Œdipe. Et ce de façon très personnelle, loin de tout réalisme.

 

Un père torturé de jalousie face à tout l’amour que sa femme porte à leur fils, décide de l’abandonner. Laissé à la merci des bêtes féroces sur le mont Cithéron, en plein désert, l’enfant finit par être trouvé par un berger et recueilli par la famille royale de Corinthe. Plus tard, devenu adulte, Œdipe s’interroge sur son identité après avoir été qualifié de "fils de la fortune" par un autre jeune Corinthien. Il décide alors de partir voir la Pythie de Delphes, la prophétesse, pour que celle-ci l’éclaire sur l’énigme de sa vie : savoir qui il est. Seulement, bien loin de le rassurer, elle l’emplit d’angoisse, en lui faisant part de cette funeste prophétie : il commettra le parricide et l’inceste. Méconnaissant sa véritable identité, il cherche naturellement à fuir ses parents de Corinthe, sans savoir qu’il rend ainsi possible la réalisation de la prophétie.

Les affiches du film

 

Cette première série représente la même scène : il s’agit là des premières minutes de la seconde partie du film, le socle mythique. On aperçoit, au premier plan, un berger de Laïos – celui ayant reçu l’ordre d’abandonner le jeune Œdipe – portant l’enfant ligoté à son bâton, et au second plan, la ville de Thèbes, au loin.

La place des personnages, au centre de l’affiche, permet de focaliser l’attention du "possible-futur-spectateur" sur eux. Le plan large insiste également sur l’importance de cette scène dans le film et davantage sur son caractère tragique : la vaine volonté des hommes de tenter de fuir leur destin. Elle met ici en lumière toute la cruauté dont peuvent faire preuve les hommes lorsqu’ils sont eux-mêmes menacés. Mais bien plus encore, il s’agit là de l’épisode ayant le plus marqué Œdipe, et ce physiquement. C’est effectivement à ce moment-là que furent mutilés ses pieds, origine de son nom et unique trace de son identité.

Concernant les couleurs à présent, la première affiche joue sur un contraste, cependant un peu flou, entre le blanc et le bleu foncé. Il semblerait ici que ce clair-obscur implique l’ambiguïté morale du film. Les valeurs du Bien et du Mal semblent difficilement discernables et paraissent même cohabiter au sein de l’oeuvre du cinéaste. Le titre, peu travaillé, est inscrit en haut de l’affiche en lettres capitales jaunes. Le contraste ici très marqué entre le texte et l’image sert à nommer le jeune enfant explicitement, personnage principal de l’oeuvre.

La seconde affiche change toute à fait de registre de couleurs, bien que le même procédé soit utilisé pour l’arrière plan. La couleur dominante, le rouge, peut alors faire référence au sang dans lequel va baigner la ville de Thèbes, une fois qu’aura surgi la vérité. Le titre, en lettres capitales noires, est ici positionné sous les deux personnages, et semble pointer du doigt les méfaits et désastres causés par malheureux Œdipe.

Enfin, la dernière affiche est porteuse d’un tout autre message d’un point de vue moral  ; l’opposition entre le noir et le blanc sont très marqués, distincts. Cette séparation nette, accentuée par la ligne d’horizon, présente au contraire un Œdipe Roi dont la dualité morale est claire et définie. Le titre, toujours écrit avec la même police, change néanmoins de couleur et opte pour un rouge frappant, en contradiction avec l’image. Nous sommes là davantage face à une affiche de film d’aventure, d’action que dans un film policier comme pouvaient le suggérer les deux précédentes affiches.

Ces affiches nous poussent alors, en tant que spectateurs, à nous questionner sur les personnages que l’on y voit et offrent un avant-goût de l’enquête tragique que va mener Œdipe, à la recherche de la vérité, suivant les traces de son passé. Résonne ici toute la dimension pathétique du film et du personnage d’Œdipe lui-même.

 

 

 

Le trio d’affiches ci-dessus nous propose une approche différente du mythe, orientée cette fois-ci principalement sur la relation incestueuse entre Œdipe et Jocaste. Ce tabou explicitement montré dans le film italien, Pasolini nous l’expose sans le censurer, allant même jusqu’à faire entrer nos yeux de spectateurs à l’intérieur du palais, lieu de la faute fondamentale. Ils nous apparaissent ici comme deux époux vivant d’un amour sensuel, passionnel, loin de se douter des liens infiniment intimes qu’ils entretiennent.

La première de ces affiches recourt à des couleurs rappelant celles des affiches du cinéma expressionniste allemand (exemple ci-contre). Peut-être est-ce dans l’optique de prévenir le spectateur d’un jeu d’acteur proches de ces anciens films, distant de la réalité et davantage axés sur les émotions que peuvent exprimer les corps, le jeu des acteurs. Les couleurs, très sombres, viennent signifier la tonalité grave, angoissante du film. Le rouge, de son côté, renvoie à une idée de forte violence, majoritairement physique, faisant écho, et au suicide de Jocaste, et à l’automutilation d’Œdipe. D’autre part, le fait de placer les deux amants, en format portrait et au centre permet de les introduire comme personnages principaux, constituant même de l’intrigue. Enfin, la couleur même de la police est révélatrice du contenu du film, puisqu’en effet, bien que le jaune soit associé à certaines notions positives, comme la connaissance, la joie, la puissance, il est aussi la couleur de la tromperie, du mensonge et de la traîtrise.

Dans la seconde affiche, bien que l’image du couple ne soit plus très centrée, elle n’en demeure pas moins l’objet principal, siégeant toujours au premier plan. Si les deux personnages sont ici mis en avant, c’est par le contraste qui s’opère entre les couleurs : leurs corps, teintés de jaune et d’orange, marquent une certaine discontinuité avec l’arrière plan et ses nuances bleuâtres. Parallèlement à cet univers amoureux, l’affiche nous présente également la réécriture que propose ici Pasolini, à savoir, la transcription de la représentation qu’il se fait du mythe. En effet, l’image, en haut à droite, est celle du violent combat opposant Œdipe à Laïos et son escorte, scène venant directement de l’imaginaire du réalisateur italien. Le titre a lui aussi son importance ; sa place marque une rupture entre le temps d’avant l’arrivée d’Œdipe – lorsque Laïos était encore roi de Thèbes – et le temps présent – celui du parricide, de l’inceste, causes du désespoir de la Cité – qui se traduit par la démarcation nette entre ce qui fut, et qui se trouve sous le titre, et ce qui est, placé au dessus.

Enfin, la dernière affiche est tout à fait différente des deux précédentes. Rien qu’à voir les couleurs, on peut supposer que l’impression que cherche à faire passer son commanditaire est plus orientée sur le caractère érotique de la relation entre les deux protagonistes. Le titre, encadré de rose, couleur dynamique teintée de féminité, fait donc largement allusion à cet amour ayant pourtant l’air bon, pur. Elle s’associe également à la beauté, à la jeunesse de Jocaste ainsi qu’au bonheur que lui procurait sa relation avant l’explosion de la vérité. A l’image du bleu du ciel et de la mer qui ouvre les horizons, cette couleur est étroitement liée aux rêves  ; car il ne faut pas oublier toute l’influence freudienne que porte l’oeuvre de Pasolini. Mais ce n’est pas là l’unique interprétation de cette couleur, d’autant plus qu’il s’agit de celle généralement préférée par les Occidentaux, se faisant écho de la vie, du voyage et des découvertes, aussi bien externes – dans le sens de découvrir une nouvelle gastronomie – et internes – à savoir la connaissance toujours plus juste de de soi. Ce dernier point, est un thème central d’Œdipe Roi et nous renvoie à sa quête d’identité, origine même de son malheur.

Ce groupement d’affiches met en lumière la dimension sensuelle de cette union, dont le bonheur repose sur l’inceste. En tant que spectateur, l’on comprend vite l’importance de cette relation et l’on mesure, parfois peut-être implicitement, son caractère tragique et destructeur.