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Publié : 24 novembre 2016
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Florine Garrel remporte le premier accessit, avec un récit d’aventures à la chute décalée et pleine d’humour...

Premier Accessit , Déjà Vu
Florine Garrel , élève de 1°L au lycée Pothier, Orléans

Elle ne se souvenait de rien. Rien du tout. Sauf son nom : Maya. Toutes ses pensées étaient floues, mélangées, saccadées ; ses souvenirs imprécis comme si on les avait effacés. Comment était-elle arrivée ici, au milieu de cette plaine, à côté de cette tente en toile ? Vacillante, elle se releva et épousseta ses habits machinalement. Un rideau de cheveux lui barrait la vue. D’un geste souple, elle les attrapa et confectionna une rapide coiffure qui ne tiendrait certainement pas longtemps vu la nature de ses cheveux. Lorsqu’elle leva la tête, elle balaya le décor d’un regard perplexe. Elle analysa ses vêtements, saisie d’une étrange impression : son treillis kaki était impeccable, tout comme son débardeur foncé. Ses larges chaussures noires ne comportaient aucune une trace de salissures. Pourtant le sol était loin d’être sec et propre. De nombreuses flaques de boue s’étendaient à seulement quelques mètres d’elle. Comment avait-elle pu se réveiller ici, allongée dans cette terre humide, immaculée ?
En se rapprochant de son abri de fortune, Maya s’accroupit pour jeter un œil à l’intérieur. L’inventaire fut court : à droite, un petit sac de couchage ; à côté, plusieurs boites de vivres lyophilisés, une trousse de secours, quelques armes. La jeune fille s’empara du plus tranchant des poignards et le porta à ses yeux. Les rayons du soleil levant filtraient entre les différentes épaisseurs de la tente et révélaient les imperfections de la lame. L’adolescente l’accrocha à sa ceinture et commença à rassembler ses affaires.
Curieusement depuis qu’elle était entrée dans la tente, ses pensées brumeuses se dissipaient. C’était comme si son instinct s’était soudainement réveillé et qu’une petite voix dans sa tête lui quoi faire. Remettre de l’ordre. Faire ses bagages. Partir en direction de la forêt.
Quelques minutes plus tard, elle se dirigeait déjà vers la jungle épaisse et dense, son lourd sac à dos accroché aux épaules, les mains légèrement tremblantes. À peine avait-elle un fait un pas dans le labyrinthe de lianes, de fougères et d’arbres aux troncs épais, qu’elle entendit un sifflement menaçant. Un serpent rampait vers elle, la gueule grande ouverte. Elle attrapa une branche morte et écarta la bête d’un geste méthodique, assuré, instinctif. Puis elle s’engouffra dans la forêt.
Pour le moment, son trajet était loin d’être agréable. La route était sinueuse, les racines la faisaient trébucher sans cesse, les fougères lui cinglaient le visage et l’humidité ambiante lui glissait sur la peau. Le gigantesque feuillage ne laissait apparaître que quelques centimètres de ciel perdus parmi la verdure. Maya ne connaissait pas le nom des arbres mais la hauteur de leurs troncs lui donnait l’impression d’évoluer parmi des géants, dans un milieu sombre et inquiétant.

La jeune aventurière, guidée par son instinct, avançait sans se décourager. Parfois, son débardeur s’accrochait dans des buissons épineux qui la forçaient à s’arrêter. Elle tentait alors de libérer méticuleusement le tissu afin d’éviter de trouer le seul vêtement qu’elle possédait.
Ses cheveux collaient désormais à son visage moite : comme elle l’avait prédit, sa coiffure n’avait pas tenu. Elle renonça à replacer les mèches derrière ses oreilles et dénoua définitivement son chignon. Elle secoua la tête, attrapa son poignard et sectionna d’un coup sa chevelure, comme elle avait l’habitude de faire. Ses cheveux avaient décidément une fâcheuse tendance à repousser trop vite. Elle reprit sa route.
Plus elle progressait, plus un sentiment d’angoisse lui tordait le ventre sans qu’elle sache pourquoi. Elle avait l’impression d’être épiée, suivie par des yeux qu’elle ne pouvait voir. Pire. Elle pensait n’avoir jamais mis les pieds ici et pourtant elle avançait comme si elle connaissait cet endroit par cœur. Une voix intérieure, douce et rassurante, lui intimait de poursuivre son chemin. Même si elle avait voulu faire demi-tour, cela aurait été impossible. C’était plus fort qu’elle, comme si elle ne pouvait pas renoncer, comme si elle était attirée par un lieu mystérieux auquel elle ne pouvait échapper.
Elle marchait de plus en plus vite, devenait de plus en plus agile et observait les alentours d’un œil furtif. Maya ne se souvenait toujours pas de ce qu’elle avait fait la veille mais elle était persuadée d’une chose : elle était déjà venue ici. Ce sentiment de déjà-vu s’accentuait au fur et à mesure qu’elle s’enfonçait dans ce paysage oppressant. Certes, tous les arbres se ressemblaient mais elle avait l’intime conviction d’avoir arpenté ce chemin marécageux auparavant. Elle avançait, couteau à la main, à l’affût du moindre piège.
Elle s’arrêta brusquement. En moins d’une seconde, la corde de son arc fut tendue contre sa joue et son souffle retenu. La jeune fille senti une veine battre contre ses tempes et tenta de se calmer, elle ne se souvenait même pas avoir rangé son poignard. Tous les sens en alerte, elle décocha une flèche métallique dans le troisième arbre à sa droite. Sans savoir pourquoi. La flèche se ficha dans l’écorce, produisant un sifflement aigu en fendant l’air. Des feuilles s’envolèrent du sol et un entrelacs de liane se referma dans le vide. Maya passa près du filet, interloquée, et se demandait encore comment elle avait fait pour y échapper. Elle ne se savait pas capable d’un tel exploit : elle avait deviné l’emplacement du piège et l’avait détruit en quelques secondes. C’était presque trop facile. Elle continua son chemin, encore une fois, mais un sentiment étrange rôdait au fond d’elle-même.
Après l’incident du piège, elle marcha encore une heure. Ou peut-être deux, elle ne savait pas. Elle n’avait jamais été très douée pour estimer le temps qui passait. Elle n’avait pas recouvré la mémoire et l’impression de déjà-vu persistait, semant le doute dans ses pensées. Était-elle qu’une jeune baroudeuse guidée par son sens aiguisé de l’orientation, dotée d’une endurance à toute épreuve ? Et si…
Crac.
Maya s’arrêta.
Crac.
Elle avait déjà entendu ça.
Crac.
Elle se mit à courir de toutes ses forces et ne s’arrêta pas. Elle n’avait pas envie de mourir ici. Pas cette fois. S’éloignant du bruit suspect, coupant les lianes pour se frayer un chemin, elle constata que les arbres se faisaient de plus en plus rares. Après une centaine de mètres, elle l’aperçut. Il s’élevait devant elle, grand, colossal, fait de pierres et de gravures : le Temple.
C’était la première fois qu’elle le voyait, elle en était certaine. L’impression de déjà-vu se dissipa aussitôt à son grand soulagement. Elle avait trouvé ce qu’elle cherchait. Comment avait-elle pu l’oublier ? Peut-être qu’elle avait passé des journées à errer pour le trouver et qu’à force de déception, elle avait oublié l’objet de sa quête et avait commencé à perdre la raison.
Toujours était-ce qu’elle avait réussi et qu’elle ressentait une immense fierté. Elle voulut s’arrêter et admirer ce vestige historique mais ses jambes se dirigèrent automatiquement vers l’édifice. Le regard fasciné de Maya se promena le long de l’escalier. Celui-ci, immense, comportait d’indénombrables marches, toutes plus détaillées les unes que les autres. Les motifs carrés s’entrelaçaient et racontaient des histoires d’un autre temps. À certains endroits, la végétation et la mousse avaient repris le dessus et cachaient la pierre rousse. Tout en haut, une étrange lumière bleutée attira Maya.
Hypnotisée, la jeune fille monta les marches et tendit la main vers la lueur pour s’en saisir mais celle-ci disparue. Déçue, Maya ne s’en formalisa pas et avança de quelques pas, s’arrêtant au bord d’un précipice. Quelques mètres plus bas gisaient un amas de pierres brisées, vestiges d’un pont suspendu, celui qui aurait dû permettre à la jeune fille de se rendre de l’autre côté. Alors que Maya cherchait des yeux une alternative pour traverser, la pierre fragilisée par le temps s’effrita sous le poids de la jeune fille et l’entraîna dans sa chute dans un vacarme assourdissant.
Les mains écorchées, le dos endolori, Maya se releva et jeta un regard affolé autour d’elle en tentant de retrouver ses esprits. Cinq couloirs lui faisaient face et le bruit abominable de pattes griffant le sol lui parvenait en écho. Tétanisée, elle constata que son sac et son arc avaient été projetés à quelques mètres d’elle lors de sa chute. Heureusement, son poignard était toujours bien accroché à sa ceinture. Elle voulut s’en saisir mais sa main refusa de bouger. Bloquée sur place, paralysée, Maya sentit la frayeur lui tordre l’estomac et lui saisir le cœur. Son incompréhension se lisait sur son visage. Elle était debout, au centre de cette pièce, les membres libres et pourtant, elle ne pouvait rien faire pour se défendre et éviter sa mort. Les yeux écarquillés par l’horreur, Maya voyait approcher les silhouettes de plusieurs bêtes, l’ombre déformée de leurs corps athlétiques glissant sur les murs.
Lorsque la première apparut, la mâchoire ouverte sur des crocs saillants, une effroyable terreur s’empara de Maya. Elle devait se rendre à l’évidence : elle allait mourir ici. Sans se battre. Sans même pouvoir fuir. Condamnée à rester immobile pendant que les monstres allaient la dévorer…
— NON ! Non, non, non ! Beugue pas, beugue pas, beugue pas ! J’y étais presque !
Lucy posa sa manette sur la table et soupira. Elle détestait perdre, surtout lorsque ce n’était pas de sa faute. Depuis deux jours sa console de jeu, assez vieille et sujette aux surchauffes, semblait trouver un malin plaisir à arrêter net son personnage lorsqu’il se trouvait en danger. Mais c’était la première que Lucy avait eue et elle y était attachée.
L’air résigné, elle la redémarra et pria pour que le dernier point de sauvegarde ait bien été pris en compte. Pour une fois qu’elle arrivait au temple ! Lorsque la console se ralluma, Lucy se renfonça dans son fauteuil et souffla : la partie reprenait dans la plaine et non au sommet de l’escalier. Son personnage allait devoir une nouvelle fois traverser la forêt et ses dangers.
— Génial ! Ce n’est pas comme si c’était la dixième fois…
Alors que Lucy s’appliquait à se remémorer tous les pièges afin de les éviter, Maya, elle, se réveillait dans un champ boueux et ressentait un étrange sentiment de déjà-vu.