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Publié : 22 novembre 2016
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Le talent d’Asma Asstito (déjà lauréate du prix George Sand de la Nouvelle en 2015) est récompensé une fois de plus.

 Pour l’éternité
Asma ASSTITO , élève de Terminale S au Lycée Pierre et Marie Curie de Châteauroux


Il y a des faits qui vous changent complètement. Chacun à sa propre histoire, chacun appréhende les choses d’une certaine manière. Et tous souffrent. Mais ne le montrent pas forcément de la même façon. Parfois les plus souffrants se renferment jusqu’à se consumer de l’intérieur. D’autres explosent et consument leur entourage. Elle, on a consumé son passé alors elle va essayer de construire un présent...


J’ouvre tranquillement les yeux. Faiblement d’abord, pour laisser ma rétine absorber la lumière extérieure. Lorsque je sens que mes yeux se sont adaptés, je les ouvre entièrement. Je scrute le plafond. J’entends le bip bip d’une machine. Et mes parents avec des voix inconnues : « voisins... mal éteint.. propagé... traumatisme crânien... »
Je ne continue pas l’espionnage. Cela me demanderait un effort surhumain. J’ai l’impression que ma tête va exploser. Ma mère remarque que je suis réveillée puisqu’elle vient me voir. Elle me parle. Mais je ne fais aucun effort pour comprendre. Je hoche seulement et passivement la tête et esquisse un demi-sourire.
« - Bon je te laisse te reposer »
Et comme si c’était une formule magique je me laisse tomber dans les bras de Morphée...


Je dors paisiblement. Sans me soucier des bruits extérieurs. Cependant des cris perturbent mon sommeil. Pendant que je reviens dans le monde des mortels, une odeur de brûlé s’insère dans mes sinus. Et comme une claque à la figure j’aperçois, lorsque j’ouvre les yeux, la fumée qui s’incruste dans mon sanctuaire et les flammes qui commencent à ronger mes affaires. Je suis incapable de crier. Je suis entièrement paralysée. Paralysée par la peur. Alors que les flammes gagnent du terrain, j’entends une de mes vitres se briser et...


Depuis ce rêve, ce souvenir, il s’est écoulé une semaine. J’ai pu sortir de cet hôpital. Et je suis partie examiner les dégâts de mes propres yeux. Lorsque j’ai aperçu le cadavre de mon passé, le monde s’est dérobé sous mes pieds. Je n’ai pu m’empêcher de laisser glisser une larme.
Mon matériel de dessin est resté chez mes grands parents. Mes armes. En revanche mes œuvres, mes combats, ont rejoint le monde de l’oubli. Je prends une nouvelle feuille canson et commence à esquisser la devanture de la maison. À la fin de la semaine j’ai encré et mis en couleur chaque pièce de la maison pour qu’elle ne s’efface jamais...
Pour que le passé ne se perde pas dans le monde de l’oubli... Oublier. J’ai l’impression que certains détails de ma mémoire sont abstraits. Indéchiffrables.
J’entends ma mère me demander de me préparer pour demain. Elle veut que je retourne au lycée. Je n’ai pas très envie. Mais je n’arriverai pas à la contredire. Je suis mentalement vidée. Je vais dans ma « chambre ». Un débarras aménagé avec un lit et un bureau. Au rez-de-chaussée. Plus jamais à l’étage. Plus jamais seule...


Les flammes gagnent de plus en plus de terrain. J’entends ma fenêtre se briser. Au lieu d’apercevoir un pompier, je l’aperçois. Lui. Tout à coup ma peur se dissipe mais mon corps reste immobile. Il s’approche de moi et … 


 J’avance machinalement vers le lycée. La seule chose à laquelle je pense est mon ange gardien. Celui qui m’a sauvée. Je sais que je le connais. Mais ma mémoire est incapable de l’identifier. Impossible. Je dois le retrouver.
Lorsque je rentre dans la classe, je reconnais certains visages mais la plupart me paraissent inconnus. Je me dirige vers le fond de la pièce et me place à une table vide. Je sors une nouvelle feuille. Un crayon à papier. Une gomme. Et je commence à esquisser le portrait du professeur. Cela se reproduit à chaque heure de cours. Pendant une semaine.
Et puis l’ennui s’immisce en moi. Mes journées ne sont rythmées que par les cours. Je me lève le matin pour aller au lycée. Et rentre le soir chez mes grands parents. Chaque jour je repense aux flammes. Chaque fois j’essaye de chercher dans ma mémoire mon sauveur. Mais celle-ci est un bordel que je n’arrive pas à ranger.
 Dans ce quotidien, quelque chose me permet de vivre : lorsque mon père vient me chercher au lycée, je croise son regard. Tranquille. Cet individu. Un regard court mais à la fois profond et apaisant. Un regard sombre, difficile à décrire à cause de la nuit noire. Je suis dans l’incapacité de reconnaître la couleur de ses yeux. Mais ce simple contact visuel suffit à rendre mes journées plus vivantes, plus utiles.
 Puis chaque soir, dès que je suis enfin seule dans ma chambre, je prends mon carnet à dessin et essaye de faire un croquis de l’image qui est dans ma tête. Chaque soir je me concentre sur un détail. Ses jambes fines. Son grand corps. Sa mèche. Sa barbe naissante.
Il est la seule chose qui me reste. Mon passé n’est plus que cendre. Matériellement et psychologiquement. Ma mémoire s’est envolée en même temps que mes précieux dessins. La personne qui m’a sauvée est une énigme. Il m’est impossible de l’identifier, alors je n’ai que mon dessin. Rien de plus. Il est ce qui me permet de me lever chaque matin. Ce qui fait mon présent...
Alors, pendant que la mine HB de mon crayon parcourt le grain du papier je me mets à fredonner les paroles d’une musique, des paroles qui semble ancré en moi :


« Tu es l’image que je vois dans ma tête
Ma raison de dessiner
Je veux te retrouver
Je dois te retrouver.


Tu es la pièce manquante dont j’avais besoin
Le dessin est encré en moi
J’ai besoin de te trouver
Je dois te trouver »


Chaque jour, mes dessins sont plus précis, plus réels. Je le sais. Je le sens...


Des rires d’enfants. Autour de moi, un jardin. Et puis deux enfants. Une fille. Un garçon. Leurs rires innocents. La jeune fille ne connaît pas le futur noir qui l’attend. Le garçon est intouchable. J’ai beau tendre la main pour essayer de l’attraper, il s’éloigne encore, encore, toujours plus loin...


 Je suis assise là. Face au lycée. Le monde est si simple : des groupes se forment car les gens se ressemblent. S’ils ne s’entendent pas, ils vont chercher ailleurs. Et dans ce monde factice je le cherche désespérément. Je ne l’aperçois que le soir. Chaque soir. Devant le lycée. Adossé contre le muret. La sonnerie retentit. Mais avant que je puisse atteindre la classe, ma vue se brouille et je me sens partir...


 Un sourire radieux, une voix grave, une mèche rebelle. Des vêtements trop grands, une démarche animale, une barbe naissante. Il rigole souvent et son rire magnifique est une mélodie magique à mes oreilles.
 Mais lorsqu’il arrête, j’ai peur. Peur que tout s’effondre autour de moi. Pourtant son visage se concentrant sur le travail demandé accélère mon cœur. Je ne peux détourner le regard de son visage. Son visage si parfait. Ses traits deviennent durs. Ses yeux sont fixés sur sa copie. Il essaye de résoudre le problème demandé. Et lorsqu’il lève sa tête dans ma direction pour voir quelle est cette paire d’yeux qui l’épie, son regard croise électriquement le mien.
Un rire. Le sien. Il offre son sourire à cette fille. Je n’arrive plus à respirer. La salle commence à bouger...
Une main se pose sur mon épaule.
« Ça va ? »
 Ces mots me sont destinés. J’essaye d’afficher un sourire – un triste sourire- sur mon visage.
« - Je l’emmène à l’infirmerie. »
De grandes mains fermes et fortes se posent sur mes hanches pour m’aider à me lever. Une fois debout, une sensation chaude m’enlace la main. Je la regarde. Sa main. Il me dirige vers le couloir et après quelques secondes, nous nous arrêtons.
« - Tu peux pleurer maintenant ! »
 De la tristesse. Ses yeux. J’ai l’impression de voir les miens. Alors, pour une fois, je laisse les larmes dévalées mes joues, sans en freiner une seule. Et doucement, je me rapproche de son torse. Un grand mais fin torse. De longs bras viennent faire le tour de mon corps pour me protéger. Me protéger de l’extérieur. Ses bras. Son parfum m’enivre, je voudrais pouvoir rester ainsi toute ma vie. Pour l’éternité. Je lève la tête. Mon regard plonge dans le sien. Ses yeux marron, non, noisette, accompagnent la couleur brune de ses cheveux. Un rayon de soleil qui s’est immiscé dans ses yeux me permet de voir une couleur dorée orner ses iris...


Je suis à l’infirmerie. J’ai dû dormir au moins une heure. Ce rêve. Encore ce souvenir. Il m’est difficile, voire impossible d’expliquer certains événements. Et pourtant je sais que c’est lui. Il est l’ange qui m’a sauvé des flammes ce jour là.
J’appelle l’infirmière et lui demande l’autorisation de sortie. C’est mon grand-père qui vient me chercher. Dès que je suis à la maison, je vais dans ma chambre et prends ma palette de peinture. Sur le couvercle, il y a une photo de scotchée. Sa mèche rebelle. Ses yeux noisette. C’est lui. Mon ange. Je l’arrache et appelle ma grand mère.
« - Mamie, qui est-ce ?
-C’était ton meilleur ami. Ou bien ton petit copain. Personne ne savait vraiment. Mais c’était vraiment un type génial. »
La pluie se met à tomber. Une averse qui détrempe tout sur son passage. Comme si le ciel savait.
« - Pourquoi tu parles de lui au passé mamie ?
-Ma chérie…
-Je l’ai aperçu
-Il n’est plus là
-Mais je l’ai vu...
-Écoutes moi !
-NON ! »
Je me surprends d’avoir crié. Ma tête me fait affreusement mal. Des images me reviennent en mémoire. Une voiture. Lui. Du sang. Ma chambre. Moi brisant la vitre...
 J’ouvre les yeux que j’avais fermés à cause de la douleur. Et je regarde ma grand-mère. Des gouttes de pluies roulent sur ma joue.
« - Mamie, je, je, je...
-Oh ma puce »
Elle s’approche de moi et me prend dans ses bras. On reste là quelques minutes. Puis je me retire dans ma chambre.
Je m’allonge sur mon lit, je ferme les yeux et me souviens. Il passait son permis, il était fier. Mais un chauffard a raccourcit son temps de conduite... Je me remémore l’incendie. J’ai entendu sa voix pendant mon sommeil et je me suis réveillée. Je l’ai vu et je l’ai entendu me dire de briser la fenêtre avec ma chaise car je n’arrivais pas à l’ouvrir. Et puis j’ai sauté...
« Alors c’est vraiment un ange qui m’a sauvé ce soir là. Toi. Tu es revenu pour me protéger... »
 Je me mets à parler à voix haute. Peut-être dans l’espoir qu’il m’entende. Là, une idée me vient. Je dois vérifier. Je dois vérifier si c’est un faux souvenir. Ou bien la réalité.
 Je me redresse, sors de ma chambre et claque la porte d’entrée. Le ciel s’est dégagé et un somptueux arc en ciel orne le ciel. Pendant que je cours vers le cimetière, le souvenir de notre rencontre refait surface...


« Et toi, tu crois à la mort ? » Je me retourne. Le propriétaire de cette voix ne me dit rien.
« Enfin, pas à la mort des corps, on meurt tous un jour, ça c’est inévitable. Mais à la mort de l’esprit ? »
Je n’ai pas le temps d’en placer une que sa voix grave se remet à résonner.
« Moi je pense que notre esprit ne meurt jamais. Les fantômes et les esprits en sont la preuve. Et puis tu sais quoi, sur ma tombe j’écrirai, enfin mon épitaphe se sera….’’Pour l’éternité’’ »
Je me mets à rire. Il fait de même...


 J’arrive sur sa tombe. Je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire qui traverse mes larmes.


Dans les décombres de la maison, sous les objets à moitié brûlés, on a trouvé une feuille de dessin intacte. Sur la feuille, un être humain avec un magnifique sourire. A qui on a dessiné des ailes. Elle les lui a dessinées. A son ange. Et au lieu de signer par son prénom comme elle le fait habituellement, cette fois ci de sa plus belle écriture elle a noté « Pour l’éternité »