Ce fût un réveil comme de ceux qui t’arrachent d’un rêve. J’ouvrais les yeux essayant de comprendre pourquoi ce réveil fût si lourd et si dur alors que pourtant bien habituel. Nous étions le Jeudi 3 décembre 2015, m’alertaient mon téléphone et son alarme incessante. Ce manque d’assurance venait sûrement du fait que tous les jours se ressemblaient sans grands objectifs, ni rêves qui viennent s’en mêler. J’attendais dans mon lit les fragments de souvenirs de la veille, qui, bien qu’un peu dispersés, me rappela avec regret et tristesse une nuit fort alcoolisée. Pourquoi ? Nous étions en semaine et j’étais bien seul chez moi, à penser à ce qu’est vraiment la vie, à un tas d’humains plus robotisés que moi. Accroché à ma routine, oubliant les efforts produit pour en sortir, je me levai et pris un café, qui, d’ailleurs, me rappela vaguement celui de la veille. À moitié conscient, je me coiffai légèrement devant mon miroir, voyant seulement le sale raté que j’étais. Je me décidai à partir au boulot, laissant derrière moi quelques grandes idées de changement. Assez déçu par moi-même, de mon péché occasionnel, je me mis à hésiter sur le chemin du travail à allumer ma cigarette matinale. Finalement, l’envie l’emporta sur la raison et mes poumons en payèrent le prix, ce matin-là, comme tous les autres.
Une fois arrivé à mon bureau, je pus apprécier avec sympathie un commentaire sur mes cernes de la part de mon collègue Philippe, dit « le blagueur » :
« Bah alors, t’as tellement de cernes qu’on dirait du maquillage, faudrait penser soit à dormir soit à mettre du démaquillant » dit-il esquissant un ricanement.
Un simple regard noir à son égard me permit de lui faire comprendre que je n’étais pas du matin. Philippe était un inculte, un de ceux qui suivent une routine des plus malsaines entre se gaver et boire à tout bout de champ sans même s’être déjà posé une question. Il fait partie de ceux qui depuis tout petit ne se sont jamais interrogés et ne sont que des pions de la société d’aujourd’hui. Je ne sais quoi faire entre envier sa simplicité de vie qui doit mener au bonheur ou le mépriser, lui et ses semblables qui se font happer par les grands de ce monde. Toutes ces divagations me donnèrent l’impression de retourner à l’adolescence, quand je n’avais pas encore accepté le fait que ma vie serait dirigée par des « messieurs importants et éclairés ». Ce que l’on appelle la liberté n’est que l’impression d’être maître de ses mouvements. Finalement on se retrouve tous à avoir la même éducation, la même définition de la beauté, les mêmes objectifs comme fonder une famille. N’est-ce pas le rêve d’un citoyen moyen ? La sonnerie de téléphone me sortit brusquement de mes pensées. Je dus répondre. Un consommateur avait oublié son téléphone dans un de nos bus, le 17 pour être précis. On appelle « consommateurs » ceux qui prenaient le bus, car n’étant pas vraiment nos clients ; « consommateur » était un terme plus approprié, même s’il ne fait que rappeler ce que nous sommes tous. Je prévins donc le chauffeur : le téléphone sera remis au consommateur à l’arrêt « Beffroi » lors du retour du même 17. C’est la procédure habituelle, mon boulot consiste à répondre aux appels des consommateurs qui ont besoin d’informations sur nos lignes ou besoin de récupérer un objet.
Bien qu’ennuyeux, ce travail me comblait : paradoxalement, je ne m’ennuyais jamais. À force de m’asseoir derrière ce même bureau tous les jours, je me suis même amusé à le redessiner dans ses moindres détails une fois chez moi. Il y avait un petit cactus tout au bout à gauche histoire de respecter certains clichés, une petite boite de crayons, dont aucun ne marchait, se trouvait en face exactement au même emplacement mais à droite. Un ordinateur se trouvait bien au milieu et un cadre avec une photo de moi, adolescent, se trouvait à sa gauche. La journée passa rapidement, je rentrai empruntant le même chemin, fumant la même marque de cigarette, inlassablement. Une fois chez moi, le silence me fît l’effet d’un brouhaha et me rendit mélancolique une fois de plus, me rappelant tous les amis que j’ai perdus, esquivés ou oubliés par facilité... j’aimais bien couper ce silence en regardant les infos sur mon écran de télé modeste mais suffisant. Il repassait encore des reportages sur la façon dont se sont déroulés les attentats du 13 novembre. La présentatrice du JT, jeune fantasme sur pattes (bien que je ne puisse jamais voir ses jambes) avait le regard concerné, effrayé ! Je me suis senti tout peureux, me confortant douillettement dans ma lâcheté. Mais son phrasé érotique qui énonçait avec délice toutes les horreurs de la journée, sa bouche gourmande, sa peau diaphane me poussaient ensuite à la secourir et à jouer le chevalier qui l’embrasse jusqu’à l’asphyxie... Elle tenait à ce que je sache chaque détail sanglant pour que ma peur s’attise : ma belle présentatrice fait prendre avec mon consentement fébrile et jouissif au terrorisme plus d’ampleur qu’il n’en n’a déjà. Plus je regardais les infos, plus une angoisse se construisait petit à petit dans mon esprit. Cette sourde frayeur accouplée à ce désir cathodique me transmet un malaise diffus mais persistant. Je vais mourir un jour (ouais je viens de faire une grande découverte) et cela peut arriver à chaque instant (autre grande découverte) ... et je n’aurais rien fait de ma vie... J’ai un boulot de merde, aucun ami, aucune compagne, aucune réussite et aucun rêve réalisé. Et puis de toute manière cela change quoi ? Que je fasse de grandes choses ou non, je suis destiné, au même sort que tous les autres clampins, à n’être plus rien. J’éteignis la télé et allai m’allonger dans mon lit pour pouvoir réfléchir confortablement. Après tout, le chauffage ne marchant pas dans le salon, je serai plus au chaud dans ma chambre.
Attaché à mon esprit comme un tatouage sur la peau, l’envie de boire me reprit de plus belle. Ce quotidien qui me tuait à petit feu, ne laissant aucune perspective d’espoir, n’avait que trop duré ! Je ne pouvais céder à l’alcool tous les soirs, sinon quelle réelle différence pourrait-il y avoir entre moi et Philippe ? Essayant de ne plus penser, mes yeux fixèrent le tableau qui m’avait été offert par mon père. Étant la seule décoration de ma chambre, celle-ci, une fois éclairée, ne m’offrait que ce foutu tableau accompagné d’une pointe d’imagination. Ce foutu tableau représentait un simple pêcheur, vêtu de bleu de la tête au pied avec une pipe sous sa moustache de détective privé. Il possédait un béret bleu qui mettait en valeur son sourire qui me paraissait représenter le bonheur. Il se tenait debout, droit dans ses bottes, au bord de l’eau, à proximité d’une plaine verte, avec un ciel d’un autre très beau bleu. Sa canne à pêche pointant vers l’eau, seulement deux poissons à côté de lui, donne une impression de pauvreté, marquée par un gros bateau de pêche plus loin dans l’eau, rempli de poissons. Ce bateau était conduit par un homme à la tenue bleu marine, qui, contrairement au pêcheur, n’affichait pas de sourire. Mon père a toujours fait passer ce tableau pour un chef-d’œuvre, non par pour un quelconque message mais parce que le peintre a joué sur les différents bleus. Mon père disait aussi qu’ils nous enterreraient tous. Résultat : le vieux a perdu au jeu des chaises musicales avec la grande faucheuse. L’alcool a eu son foie à seulement 51 ans. Aujourd’hui, je décidai quand même de prendre ce tableau tel que mon père le décrivait, mais pas pour le même motif. Ce tableau me prouvait que même avec de petites choses, on pouvait avoir accès aux bonheur. J’imaginais bien le vieux pêcheur rentrer chez lui dans sa maison en bois, embrasser sa femme, admirer son fils puis une fois réchauffé près de sa cheminée, une pensée tranquille mais persistante le traverse : « je suis heureux ». En revanche, le deuxième homme du tableau, vous savez le gars avec le gros bateau qui ne sourit pas, appelons-le le « poissonnier », rentre chez lui, exténué, seul, livré à lui-même et quelques bouteilles d’alcool. Je ne devais et ne pouvais pas laisser le reste de ma vie se dérouler ainsi, il fallait que je me ressaisisse. Quitte à changer mes habitudes, autant changer de vie. Au moins pour ne pas finir comme ce poissonnier, comme si je ne lui ressemblais pas déjà assez. C’était la seule solution. Elle paraissait facile mais, en définitive, dure à appliquer. N’était-il pas plus exténuant d’affronter toutes ces pensées dépressives et ce quotidien que de réussir à changer de point de vue, voire de façon de penser ? J’avais lu un article sur ça, comme quoi il suffisait de se répéter inlassablement, telle une logorrhée mentale, que rien ne pouvait nous résister pour que cela devienne une réalité. Au fond du gouffre, toutes les techniques s’avéraient bonnes à pratiquer pour remonter, même les plus ridicules. Il fallait donc projeter Demain comme l’avènement de renaissance. En effet, Demain pourrait être la marque de mon épiphanie, le chemin menant au bonheur, à Mon Bonheur. Mais pour ça, il me fallait trouver un objectif qui me comblerait ou serait un moyen d’être heureux…juste pour voir quel effet cela me procurerait. Le temps n’était plus aux pensées trop approfondies, je devais réfléchir simple pour un résultat simple. Je m’endormis donc, bien fatigué cherchant un repos revigorant.
Mon objectif dans la vie étant d’en avoir un, je me suis fixé ce week-end une mission à accomplir me permettant peut-être de trouver une passion ou une meilleure occupation, une compagne, au pire un hobby... un truc quoi ! Décidant de voir la vie d’un œil nouveau, je pris mon courage à deux mains et partis en quête d’amour, voyant cela comme l’une des clés ouvrant les portes paradisiaques de la félicité. À 35 ans, puisqu’on se fait rarement d’amies en dehors des collègues, je dus me diriger vers les boîtes de nuit adaptées à mon âge. Pour peut-être trouver une copine ou ne serait-ce que trouver de la chaleur pour une nuit, loin de mon désert froid et aride. J’ai toujours su respecter les femmes dans leur intégrité (un vrai gentleman de l’ancien temps…), annihiler un quelconque comportement macho en moi, et pourtant je n’arrivais pas à me faire de conjointe... Malgré tout je n’avais rien à perdre à essayer ! Sois un être accompli, motive-toi ! Entreprends quelque chose qui nécessite du courage ! Rien à perdre ! Tout à gagner ! Laisse ce raisonnement prendre le dessus sur toute objection. Tente ta chance mon gars ! La peur de l’échec t’est inconnue. J’entrai donc dans une boite, « New 80 » était son nom, et je me dirigeai au bar, une chaise venant de se libérer à côté d’une femme qui me paraissait avoir aux alentours de la trentaine.
Ses cheveux étaient longs et bruns, elle affichait un léger sourire et buvait à première vue un verre de whisky à la paille. Elle avait un sac à dos à ses pieds ce qui me semblait carrément surprenant pour une trentenaire. Cette lassante insociabilité qui me caractérisait ne devait pas m’empêcher une fois de plus de changer. Je m’assis donc à côté d’elle, tentant une approche des plus banales :
« Bonsoir, vous venez souvent ici ? » dis-je d’un ton séducteur, ne voulant lui laisser aucun doute sur mes intentions.
- Non, j’aime bien errer la nuit, découvrir de nouveaux endroits, de nouvelle chose. Me sentir vivante est une source inépuisable de dynamisme, répondis-t-elle, le sourire plus passionné qu’avant.
- Il est vrai que l’on a tous besoin de changement, je suis venu moi aussi dans l’espoir d’en ressortir différent...
Nous parlâmes pour parler, pendant au moins dix minutes sans donner de fond à notre conversation, puis, voyant qu’un blanc commençait à s’installer, je repris la parole au plus vite :
- Vous travaillez où, si je puis me permettre ?
- Un peu partout, mais cessons de parler de ces choses inintéressantes... Vous me parliez à l’instant d’un besoin de changement, approfondissez ce que vous voulez dire.
Elle prit tout en discutant une posture de femme intéressée, posant sa tête sur ses mains soutenues par ses bras sur le bar et elle eut le regard doux, mais avide de ma prochaine prise de parole.
- J’ai toujours été seul, toujours eu le même boulot, le même appartement, le même collègue agaçant, le même bureau sur lequel me reposer. Je veux découvrir du monde, des plaisirs de la vie qui m’étaient jusque-là encore inconnus, voire changer de vie, affirmais-je avec conviction, me laissant aller à la confession.
- Je vois… et vous avez perçu ce changement à travers moi ou est-ce par hasard que nos routes se croisent ?
Elle fit en sorte de me prendre au dépourvu, je rentrai dans son jeu avec consentement.
- J’ai su immédiatement que vous étiez différente, après dire que vous êtes ce changement matérialisé en belle brune, serait une conclusion bien trop hâtive et bien trop... optimiste.
Un souffle de bonheur me parcourait le visage tel un vent frais en pleine canicule, je n’arrivais pas à y croire ! Ce sentiment semblait indescriptible, comme une fragile volute de fumée que la main ne peut saisir. Hourra ! Je n’étais pas si rouillé que ça finalement... Je mis tout ce bonheur de côté pour me concentrer sur mon premier objectif, ne devant pas laisser de (peut-être) faux espoirs m’assaillir de nouveau.
- Eh bien, à vrai dire je n’ai jamais eu de vie stable comme celle que tu me décris, j’ai toujours été dans l’optique de ne pas me soumettre à la société. Comment, tu te demandes ? Tout simplement en faisant systématiquement ce qui a été décrété comme impossible de faire. Je n’ai pas vraiment de situation et change constamment de paysage, d’horizon... je ne cherche pas à remplir la caisse de retraite qui nous attend tous, je souhaite découvrir la vie sous tous ses angles avant d’en être la victime. Donc... il se pourrait bien que je puisse être ce changement décrit comme un besoin à tes yeux..., exprima-t-elle, sensuellement, volant chaque cœur que des centaines de vie auraient pu m’offrir. Quitte à tomber dans un piège, j’étais certain de vouloir prendre ce voyage en train, de découvrir où ce changement pouvait me mener, espérant le bonheur en guise de terminus.
- Barman, 2 whiskies s’il vous plaît ! Quant à vous, (me tournant vers elle) que diriez-vous de m’initier à ces changements, apprenez-moi votre mode de vie qui me paraît si exceptionnel et qui me semble être la clé que je recherche depuis si longtemps.
Le barman versa le whisky dans nos verres. Un court silence fut rompu par les glaçons se brisant dans nos verres. Je ne sus pourquoi, mais à ce moment-là, j’ai fugacement pensé au bateau du tableau de mon père.
- Nous serons plus à l’aise chez moi pour en parler, que diriez-vous de finir ce verre et de m’accompagner à mon logis, que je vous explique par où commencer et comment continuer ?
- Avec grand plaisir. À la vôtre ! (Nous trinquâmes, échangeant un regard des plus fortuits) santé ! criai-je pour marquer la fin de la conversation et le début d’un glorieux cul-sec, qui, une fois effectué, me donna le feu vert pour suivre la jeune femme jusqu’à son appartement.
Je découvris malgré sa position financière qui me paraissait plutôt modeste, un appartement luxueux de femme aisé. Avait-elle trouvé un mode de vie plaisant tant par sa richesse que par son instabilité ? Pour ce fait, un héritage quelconque lui avait-elle était confiée ou disposait-elle d’un travail à rendue monétaire plus qu’acceptable ? Le temps n’était pas au supposition mais à l’affinement de ma transformation : elle me fit brièvement visiter son appartement avant de m’emmener au salon où elle me pria d’attendre qu’elle aille nous servir deux verres. Son canapé en cuir rouge allait très bien avec l’ensemble de la pièce plutôt glamour car jouant sur les couleurs rouge et noir avec une forme de charme mise en valeur par le positionnement de chaque objet décoratif. Je m’asseyais sur le canapé. Une fois les boissons préparées, elle déposa mon verre avec délicatesse, d’un geste habile, habitué à cette tâche, puis s’assit avec une grâce de nymphe à mes côtés, avant de prendre la parole d’une manière... saisissante ! :
« Voyez-vous, mon cher... je peux vous tutoyer ? »
- Évidemment.
- Très bien... Ho ! On en a oublié les présentations, Comment... t’appelles-tu ?
Le rythme lent et envoûtant de ses paroles était insupportable, car laissant deviner une suite trop agréable.
- Valentin. Et vous ? Enfin, toi... ? Je pris une gorgée dans mon verre, un peu trop précipitamment... J’avais une tache sur la chemise, discrète certes, mais une tache quand même.
- Vanessa. Donc, vois-tu, si tu veux vraiment changer à ce point comme tu dis, il va te falloir être prêt à abandonner ce qui appartient à ta vie d’avant. Garder un boulot qui n’évolue pas et qui ne te plaît pas ne fait que t’enfoncer plus loin dans les tréfonds de l’ennui.
- C’est à dire ?
- Il faut que tu te détaches de cette routine que tu as connue et que tu pourrais connaître encore. Cela va de la plus mauvaise habitude à la simple manie répétitive. Je suis passée par là moi aussi, mais étant très jeune, j’ai commencé tôt à voyager un peu partout, faire la fête et donc me détacher de ce que tu vis. Si rien ne se passe dans ta vie, au lieu de te plaindre, fais-en sorte qu’il s’y passe quelque chose. Le premier pas est donc, comme je te disais, la découverte d’un nouveau mode de vie au détriment d’un autre.
- Je vois... Hé bien comment pourrai-je te remercier, toi qui me tendis la main en une si brève conversation ? Je la regardais tendrement droit dans les yeux.
- Je t’avouerai que ta rapide prise de confiance me donna envie de faire de même... Tu dois être si seul...dit-elle avec un petit sourire et baissant les yeux, essayant d’expliquer explicitement que c’était comme « ça » que je pourrais la remercier.
Je finis mon verre presque plein d’un coup pour me donner du courage et l’ai pris par les épaules l’obligeant à me regarder, nos visages étant assez proches, je l’embrassai langoureusement. La suite se fit naturellement, cela commença dans la précipitation de nos corps excités et se termina dans la douceur de nos passions communes. On s’était déjà mis dans son lit et pendant qu’elle s’endormit, je me mis à penser : Je suis heureux ! Au comble d’un bonheur infini ! Je pourrais mourir maintenant je m’en fiche totalement car je suis heureux ! C’est incroyable, Je pensais que pour ne pas être dépressif, il fallait être bête et ne pas comprendre les choses de la vie, ou d’avoir un point de vue étriqué, se résumant aux simples apparences, à la surface lisse des choses, car trop abruti par le travail et les tracas quotidiens. Mais le bonheur, obscure quête enfin atteinte, personnifié par cette enchanteresse sommeillant à mes côtés, permettait d’échapper à tous ces détails futiles ruminés jusqu’à l’asphyxie. En fait, ne penser seulement qu’à ce qui nous rend heureux faisait tellement du bien ! Il me restait plus qu’à rester heureux. Oui, mon objectif, encore flou il y a quelques heures (et pourtant en cet instant, cela semblait dater d’il y a un siècle) devenait désormais cristallin : être heureux et... ne plus être seul... Cette fille était si intelligente et si gentille... Je pouvais et me devais de la garder. Son visage endormi se muait en un mélange de grâce et beauté, à lui seul, il aurait éveillé l’envie et la jalousie des plus belles femmes d’Europe. Quand je la regardais, quelque chose de puissant faisait battre mon cœur plus que d’habitude. Un bonheur constant et diffus prenait possession de mon être. Que ce soit mon bonheur ou ma transformation, elle incarnait tout ce qui pouvait me faire rester dans l’état dans lequel je me trouvais, de manière immuable. « La fatigue monte, pourquoi me battre contre l’envie de dormir alors que j’ai ses bras à mes côtés... » m’avouai-je.
Ce fût un réveil comme de ceux qui te laissent plonger dans ton rêve. Elle était toujours là, collée à moi. Tel un paresseux accroché à sa branche, je ne voulais me défaire d’elle. Je me levai malgré tout, allant voir quel petit-déjeuner je pouvais nous concocter. Une poêle, deux œufs, deux cafés, cela suffirait sûrement. Ayant déjà fait les préparatifs au préalable, je mis un premier œuf dans la poêle : le jaune ne s’avérait certes pas coulant mais m’allait très bien en tant que tel. Je mis l’autre œuf, faisant bien attention à le réussir pour celle qui m’était chère : celui-ci étant parfaitement réussi, je compris désormais l’ensemble de mes motivations. Étrangement, je me perdis dans mes pensées… la douce métaphore que firent les œufs dans la poêle devint dès lors la seule chose d’intelligible à ce moment précis : les deux se rejoignaient pour ne former qu’un lors de leur cuisson. Mon premier œuf s’avérait plus ou moins ratés : par miracle, il l’eut beaucoup moins l’air une fois emmêlé avec l’autre. Ensuite je pris ma spatule et coupai ce lien, emmenant un œuf dans une assiette, puis le dernier dans une autre. Un romantique aurait pu déclamer que les deux œufs symbolisaient la symbiose d’un couple, et que j’incarnais la destinée, les séparant inéluctablement, avec l’un qui serait raté sans la présence de l’autre mais un deuxième qui s’en sortirait.
Passant outre ces pensées de perdants, je fis les finitions et apportai le petit-déjeuner à son lit comme un combattant allant profiter d’un territoire durement gagné, désormais mérité. Elle m’accueillit d’un sourire charmeur, presque familier, et nous passâmes un bon moment entre batifolages et amusements. Les heures passaient et nous restions dans notre lit à parler de tout et de rien. J’appris que Vanessa était une nantie, fille de notables parisiens, qui haïssait ses parents. Elle prenait un boulot quand elle avait besoin de sous, ayant fait des études de serveuse, elle comblait tous ses trous budgétaires par un appel à ses parents. Ne les appréciant point, pour des motifs à la fois sombres et incompris que seul un enfant, dit bien né, pouvait connaître, elle s’arrogeait le droit de leur extorquer de l’argent par les sentiments. Je ne savais pas quoi en penser si ce n’était que de petits péchés ne valaient pas une enfance gâchée. Nous nous levâmes tout de même après une très haute inactivité, et je passai chez moi mettre quelques trucs au clair. Je savais que pour me forger une nouvelle vie, il me faudrait de l’argent. Je détestais adopter ce mode de pensée : l’argent ne permettait pas d’être heureux en soi, mais cette société, que j’adorais tant critiquer, nous imposait implacablement d’assouvir nos besoins, d’embrasser nos destinées tant souhaitées par un seul et unique moyen : le Dieu Argent. Elle créait perpétuellement l’envie chez l’homme, incitait au matérialisme. Un bout de papier pour qui des gens tueraient... N’était-ce pas lamentable ? Des milliers d’années d’évolution pour finalement se réduire avec la plus grandes des ferveurs à être dépendant des banques, de nos salaires ? Je n’ai plus jamais eu de pensée politique depuis que j’ai compris que la survie d’une démocratie, voire d’un pays dépendait de son argent ou absence d’argent en banque. L’Allemagne en crise fit confiance aux nazis. La Grèce eut une crise économique qui faillit renverser le pays et le faire tomber en anarchie. L’argent, en définitive, ne constituait pas une donnée politique ou économique, c’était plus simple que cela : c’était une religion, la seule, monothéiste (Le Dieu Argent), athée et guerrière qui mettait tout le monde d’accord. Une religion qui savait choisir ses apôtres et ses élus : soit tu as de l’argent, soit tu n’en a pas. Au diable le papier démoniaque, cette chose engendrait plus de péchés capitaux que n’importe quel film porno. D’ailleurs, j’ai toujours étais fan de cinéma, de vrai cinéma évidemment, mon père lui était plus porté sur la peinture et l’art du dessin. C’est d’ailleurs ce que je lui reprochais, en dehors du fait que ses tableaux étaient sa seule source de subsistance, il me gavait avec ça à longueur de journée. Il pensait certainement me transmettre la flamme qu’il avait pour cette art, l’attiser de manière incandescente...en fait, en ce qui me concerne, il n’a fait qu’éteindre le brasier et le réduire à un tout petit tas de cendres, dispersé depuis longtemps au gré du vent de mon quotidien. Je lui en voulais de se concentrer uniquement sur cette passion peu rémunératrice, de ne pas avoir assez d’argent pour notre famille, alimentant ainsi chaque jour un peu plus ma rancœur à son égard. Maintenant je sais qu’il défendait une cause ratée... Noble, c’était une cause noble pour la simple et bonne raison qu’il s’en disait comblé. Bon, je dois passer voir Vanessa. Un de ses amis organise une soirée et elle tenait absolument à ma présence…loin de là l’idée que je refuse. Je ne connais pas encore ses amis mais cela devrait bien se passer s’ils ne prennent pas tous de la drogue dure comme si c’était de l’eau.
J’arrivai à la soirée, l’air enjoué, Vanessa à ma portée, lorsqu’une grande maison où des tonnes de lumières volaient, toutes couleurs confondues, m’apparut tel un nuage sur mon soleil, un cheveu dans ma soupe, une limace dans ma salade. Une musique électronique avec des décibels hors normes me chatouilla méchamment l’oreille. Un peu surpris, je parlai de mes constatations à Vanessa :
- Dis mois Vanessa, on a à faire à une grosse soirée, j’ai l’impression. Ce n’est pas vraiment ce à quoi je m’attendais... dis-je d’un air déçu, ne m’attendant pas à une réponse qui ferait de moi l’incarnation vivante de la déception.
- Ho !! Ne fais pas le rabat-joie, viens et danse ! cria-t-elle telle une adolescente en manque.
Je ravalai mon orgueil de petit garçon venant de se faire envoyer balader et m’avançai dans cette antre d’ordre barbaresque. Un vrai Enfer de Dante, ce lieu… Je vous ai déjà dit qu’il y avait de la lumière partout, de toutes les couleurs ? A l’intérieur, c’était pire ! Les spots diffusaient différentes couleurs plus agressives les unes que les autres, s’entrechoquant sans cesse à l’unisson des basses d’une « musique », véritable arme de destruction massive, ne visant qu’à détruire tous les tympans environnant. Dans les quelques minutes qui ont suivi mon entrée, j’ai cru perdre trois dixième à chaque œil.
Un mec, avec ce style qu’ont les mecs organisant ce genre de soirées, nous remercia de notre venue avant de nous offrir un verre. Plutôt cool le mec. Suivant cela, un jardin avec une piscine où gisaient debout des centaines de personnes réparties autour de leurs gisements. Car les clichés aiment à être respectés, ces gens-là ne prenait pas que de l’alcool : c’était la réunion mondiale de tous les plus grands sniffeurs…moi au milieu, avec mon statut de puceau pour les stupéfiants. Au point que le brouhaha émanant de cette faune ne provenait pas vraiment des mondaines conversations mais plutôt de leurs activités « aspirantes ». Et effectivement, après avoir laissé ma copine se faire entraîner par la musique raffinée de ces beaux lieux, j’observai une première personne s’approcher de moi de manière désinvolte, me proposer un petit rail de cocaïne, et lâcher l’affaire après mon timide, mais néanmoins ferme, refus. Ou pas.
- Bon allez, prends en un petit, je suis sûr que tu en as jamais pris, ce serait dommage de gâcher la seule vie que tu as, en n’ayant pas découvert les plafonds de dopamine atteignables !
Malgré son allure de junkie, il avait un regard doux, qui ne te veut pas de mal.
- Non ça ira merci, je vais juste boire ce soir.
- Écoute… je te rends un service mon pote. Crois-moi, plus tard, tu diras « heureusement qu’il a été mon pote Steven, pour que j’apprenne à vivre ». Maintenant, prend ton pied, mec.
- Non vraiment, je... (débarquant de nulle part comme de partout, le mec cool me sauva la mise)
- Hé Steven ! Mon pote ça va ? Tu vois le mec là c’est le copain de Vaness, donc, faut pas trop l’embêter c’est la première fois qu’il vient, t’as pigé ?
- Ça marche mec, je voulais juste qu’il s’éclate.
Le premier type parti, je parlai donc aux deuxième, qualifié par mes soins comme « cool » :
- Salut le copain à Vaness, alors, on veut pas s’éclater avec Steven ? Écoute, c’est la première fois que tu viens, alors au lieu de faire le difficile, tu pourrais au moins accepter quelques trucs. Vaness m’a parlé de toi. Elle m’a dit : « mon mec il a un besoin de changement, faut qu’il se relâche une soirée, voire deux, voire trois ou quatre, et là le changement sera en marche ». Donc pour ça… (précédé d’un petit silence théâtral, il fit un clin d’œil à la façade de la maison se trouvant derrière moi, mais tout comme moi, vous imaginez bien que ce n’était pas à la façade) il faut se relâcher !
Trois types m’agrippèrent de leurs bras : Je me sentis tout d’abord agressé, puis une sensation plutôt agréable me détourna de cette première sensation désagréable. La sensation de voler… paradoxalement, celle-ci me permit un rapide retour à la réalité en m’offrant une vue irrésistible sur la piscine qui m’attendait et se riait de moi chutant depuis le ciel. Qui l’eut crût, au lieu de faire un plat dans l’eau chlorée, je venais d’atterrir sur le gros barbu en veste en cuir, vous savez, celui qui fait peur dans les films. Je le compris quand il me chopa d’une main par la gorge et qu’il me souleva au-dessus de l’eau que je venais à peine d’embrasser. Cette troisième rencontre de la soirée commençant fructueusement, je balbutiai quelque mot pour me tirer d’affaire, simple instinct de survie.
- Argh ! Je... c’est eux... jeté moi...
- Alors TOI ! Qu’il me cria.
- Pitié...
- Bienvenue parmi nous !
Et il éclata de rire en même temps qu’il me relâcha...
J’oubliai durement cette folie et cherchai Vanessa des yeux, trempé de la tête au pied, l’ego blessé, je ne voulais qu’une chose : rentrer. Je demandai à tous ceux qui passaient où se trouvait Vanessa, puis une réponse, ma foi, totalement surprenante, se percuta directement à ma mauvaise humeur :
- Salut beau garçon, c’est moi Vanessa... Viens avec moi, tu n’as pas grands chose à faire d’autres... me souffla une jeune blonde aussi blanche que peut l’être la drogue qu’elle avait dû inhaler.
Elle avait du mal à parler comme la plupart des gens ici.
- Non, excusez-moi, j’ai mieux à faire.
Je traçai ma route comme je pus mais elle me retint par le bras. Lorsque je me retournai, elle m’embrassa, enfin plutôt m’embrasa, déversant une soufflante de fumée au fond de ma gorge. Je m’arrachai de ses lèvres sèches et constatai qu’elle fumait un cône tellement gros qu’on aurait dit un porte voix... Je toussai surtout, pendant une bonne dizaine de minutes, la gorge certainement brûlée au troisième degré, avant de me rendre compte qu’elle m’avait assis, servi un verre que je commençais à engloutir. Ma gorge était si sèche que mon verre passa tout aussi sec. Puis scrutant les horizons, j’aperçus le mec cool, celui qui connaissait Vanessa personnellement. D’un bond, je me levai laissant la blonde et me dirigeai vers lui quand Steven, beaucoup plus « excité » que tout à l’heure me barra la route. Son regard étincelait de haine cette fois.
- Écoute moi bien le copain de Vaness, tu ne veux vraiment pas goûter à mes poudres magiques ? C’est avant tout pour toi que je fais ça… et toi, tu ne veux pas ? Eh bien, viens donc prendre une tequila avec moi !
Son regard devenant bon, ne voulant pas contrarier cette personne aimable à mon égard, je pris place lui faisant part du fait que j’étais pressé et je suivis ses instructions :
- Alors nous, les tequilas, on les boit avec du citron et du sel, (technique « mericano » qu’il disait), d’abord tu bois ton verre, tu manges ton citron et puis tu sniffes ton sel !
- Pardon ? Sniffer le sel ? Tout se passait trop rapidement pour moi.
- Oui, oui, fais-moi confiance, technique mericano !
Voulant passer à autres choses, je suivis ce qu’il fit et pris ma tequila, pris mon citron et sniffai… Oh, mon Dieu !!...le sel. Soudainement, je sentis comme une remonté encore plus spectaculaire d’adrénaline avec le sel qu’avec l’alcool... je... non pas ça... est-ce que ce guignol en aurait mis dans le sel ?
Ce que je fis ? Je me levai d’une traite et partis chercher le « mec cool », pour lui demander où était Vaness, enfin Vanessa. Mais c’était comme si... j’étais dynamique, voire hyperactif, voire sous cocaïne... Je ne voulais pas y penser. Mais songer au fait d’avoir suivi naïvement les instructions de l’autre fou accoucha d’une aigre remontée de regrets provenant du plus profond de mon être. Je devais oublier ces détails et m’adresser au « mec cool », savoir où était Vanessa et rentrer, oui rentrer chez moi et être tranquille, débarrassé de tous ces fous et de leur asile construit ici même.
Je me dirigeais vers l’intérieur de la maison. Que vis-je ? La fille de toute à l’heure encore plus dans la lune que son teint. Je continuais sans m’arrêter, traversais plusieurs pièces sans jamais voir le « mec cool ». Je pris panique mais me redirigeai dans le jardin en courant. Pourquoi ne pas courir de toute façon, cela s’avérait beaucoup plus rapide. Il y avait tellement de monde dans ce jardin, j’avais beau scruter, je me retrouvais aussi désemparé qu’un gosse cherchant sa mère dans une fête foraine. Je courais partout, comme un poulet sans tête, les larmes aux yeux. Plus je scrutais les horizons, plus ce que je voyais m’effrayait : ils se droguaient de partout, celui-là jouait avec une lame tandis que ceux-ci tentaient d’allumer un feu avec un jerrican dans le jardin tout en titubant et se cognant les uns aux autres ! Mon Dieu, je suais de partout, ne me sentais pas en grande forme, à la limite de l’apoplexie. Que font ces gens à s’amuser avec tout ce qui peut atteindre à leur vie ? La drogue montait au cerveau, bousculant mes repères, endommageant mon orientation. Je cherchais encore le « mec cool », qui à force de le chercher, n’était plus si « cool ». A vrai dire, à ce moment, au vu de mon état déplorable, je ne savais même pas si je pouvais le reconnaître, même si sa figure se collait à la mienne. Alors que tout espoir semblait être perdu, je le vis sortir de la maison. Je courus comme si ma vie en dépendait avant de me jeter devant lui. Une fois à ses genoux, je lui pris les jambes et l’implorai de m’indiquer où Vanessa se trouvait. Il me répondit avec une voix affreusement joyeuse, l’œil narquois, la bouche formant un rictus amusé :
- Elle est dans une chambre au premier étage, elle parle avec un pote à elle, ils voulaient s’éloigner du bruit.
Mon sang ne fit qu’un tour ! Mes jambes en firent dix et en seulement quelques secondes, je me vis monter les escaliers aussi rapidement que faire se peut. L’impression de ne pas contrôler ce que je faisais, était présente mais vite oubliée puisqu’une colère et une peur dévoraient mon esprit comme un trou noir absorbant la lumière. Arrivé au premier étage, j’ouvris avec fracas une première porte qui donnait vue sur un couloir, lui aussi garni de portes à ouvrir. Une rangée de porte à gauche et à droite m’attendait bien sagement, avec bien évidemment une chambre à la clé de chacune de ces serrures. Je poussai une porte, puis deux, et cela continua sans que je sache le nombre exact et sans que je vous parle des choses salaces se passant dans les chambres qui m’auraient laissé coi en temps normal. Mais là plus rien ne pouvait plus me troubler, Ma conscience s’étant enfui depuis bien longtemps de ces lieux. Plus les portes défilaient, plus je sentais la sueur se répandre sur mes vêtements, plus un autre moi, jusqu’ici bien enfoui dans les relis de mon esprit, s’évadait de son cachot, pour envahir tout mon corps et remplacer le petit être faible et désorienté que j’incarnais. J’ouvris alors une porte comme j’ouvris les autres, un grand coup de pied dans le bois frêle, puis un spectacle trop longtemps repoussé se présenta à moi. Il n’y avait pas de mots assez haineux pour exprimer ce qui s’accrochait à mon regard. Elle était là, avec un autre homme… J’avais beau me dire que nous nous connaissions à peine, elle fut ma résurrection et en cette instant elle devenait ma mort. Que dire d’autre à part « qu’éclaté » comme j’étais, je me suis « éclaté » à « éclater » ce pauvre jeune homme encore allongé sur le vaste lit. Je repris petit à petit mes esprits, assis sur ce même vaste lit, Vanessa à ma droite, et le jeune homme, du moins ce qu’il en restait, gisant à ma gauche encore à moitié conscient. Ce qui fut étonnant, après cette homélie tenant plus du vaudeville que de l’épopée, vous en conviendrez, c’est qu’elle implora mon auguste pardon, en me déroulant la justification imparable, le fameux « j’ai trop bu, j’étais inconsciente tout ça... ». Je fis vœu de silence. Après une demi-heure à reprendre mes esprits, je me levai, toujours muet, ce qui devait lui être horripilant et me passai de l’eau froide dans l’évier présent dans la chambre. Sur le Visage bien sûr, mais surtout mes mains bien endolories et meurtries après cet excès d’expression testostéronée. Bien évidemment, personne n’entendit la bagarre, ni les portes défoncées à coup de pied. Soit ils s’avéraient tous trop drogués, soit la musique sortant d’enceintes gargantuesques empêchait tout silence, sauf le mien. Le dernier dialogue de la nouvelle de notre histoire apparut comme la fin de l’entracte :
- Comprends moi je t’en supplie, je n’étais pas moi-même d’ailleurs toi non plus et je...
Je l’interrompis en gardant un calme durement acquis.
- Il n’y a rien à comprendre, tu m’emmènes sans me l’annoncer chez des junkies pétés de thune qui veulent tous me faire goûter leurs drogues, tu me laisses avec ces malades pour aller te droguer et me tromper avec qui bon te semblera, et tu demandes pardon ? Tu sais quoi ? Tous les matins de ma misérable vie, avant de te connaître, quand je me regardais dans un miroir, je ne me voyais que comme la merde que j’étais, comme un moins que rien. Alors toi qui demande pardon encore à moitié nue, qu’est-ce que tu peux bien penser de toi ?
On se quitta sur ces mots, je rentrai chez moi et me mit dans mon lit. C’était incroyable quand on y pense : toute une mentalité modifiée, un nouveau moi créé, un amour forgé, pour finalement se retrouver dans le même lit, avec le même boulot demain et le même tableau face à soi. J’essayai de penser mais le sommeil, accentué par la prise d’alcool et de drogue auparavant, m’anéantit et je m’endormis.
Ce fut un réveil qui ne m’arracha à rien, ni à un rêve ni même à un cauchemar. J’aurai aimé penser comme à chaque réveil sur mon avenir inexistant, sur mon existence inutile, mais je n’en n’avais plus l’envie. Le tableau juste en face de moi, anciennement créateur de motivation, avait l’air de me narguer. Une gueule de bois me taillada le visage, elle me fit l’effet d’une goutte de pluie en comparaison au tsunami de souffrance qui parcourait les abysses de mon esprit. Je me levai et parti rejoindre mes collègues de bureau sans réfléchir à ce qui c’était passé hier, me perdant dans les méandres de l’abstrait, oubliant une partie de ma conscience pour éviter une douleur trop importante. Perdant une liberté pour éviter de toute les perdre, je me sentis moins vivant que jamais. J’étais le poissonnier parmi les vagues sournoises de l’horizon, sans rêves futiles ni optimisme inutile. Il n’y a rien à regretter, rien à espérer, juste laisser son esprit se perdre parmi tous les autres. Avoir un cœur de glace pour éviter d’avoir mal dans le puits de ténèbres composant ma vie, c’était ça ma solution. Si il y avait quelque chose à retenir de tout ça, une morale ou appelez cela comme vous voudrez, c’est qu’on est tous victime d’un dessein plus grand, et que les rêves ne durent qu’une nuit.
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Dernière mise à jour : lundi 24 janvier 2022