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Publié : 25 novembre 2016
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Honneur à Quentin Weinling, notre lauréat " régional de l’étape", qui remporte le troisième accessit du Prix de la Nouvelle

Troisième Accessit, L’amour dans l’âme
Quentin Weinling, élève de 1L au lycée George Sand, La Châtre

Il se tenait là, devant elle, avec ses indomptables cheveux blonds comme les blés, ses yeux d’un vert si profond que l’on s’y perd, parsemés de pépites d’or et d’ambre.
Thomas était littéralement avachi dans son fauteuil, les yeux rivés sur son portable. D’un coup, il explosa de rire. Un rire si clair que même le plus pur de tous les cristaux ne pourrait obtenir un son si ravissant.
Suzanne lui lança un regard interrogateur, auquel il répondit par un petit geste de la main accompagné d’un magnifique sourire, dévoilant ses dents semblables à des rangées de perles d’une blancheur extrême.
Après plusieurs autres éclats de rire du jeune homme, la bibliothécaire leur demanda de « quitter le domaine de la connaissance », sous prétexte qu’une bande de jeunes bruyants n’avait rien à faire ici.
Thomas et Suzanne se retrouvèrent donc à la rue, en plein mois de février. À peine furent-ils sortis que la jeune fille recevait un message d’Elorah, sa meilleure amie depuis la cinquième. La petite rousse aux yeux noisette lui demandait de la rejoindre à la galerie marchande afin de « s’acheter des fringues pour la soirée de demain ».
La soirée ! Elle l’avait complètement oubliée ! Suzanne et Elorah s’étaient proposées pour animer l’anniversaire d’un ami, et elles n’avaient ni robes, ni cadeaux !
Sans réfléchir, l’adolescente empoigna le bras de Thomas et le traîna jusqu’au lieu du rendez-vous. Là, ils se firent aborder par la jeune fille, alors coiffée d’une grande tresse en épis de blé. Cette dernière coulait doucement sur son épaule avant de se terminer en cascade de mèches le long de sa poitrine, elle-même cachée sous un énorme manteau chocolat à capuche.
Après deux heures de shopping, Thomas se proposa pour payer à boire aux filles, qui acceptèrent vivement. Une fois le jeune homme parti, Elorah ne put s’empêcher de poser LA question :
« Eh ! Il est beau, Thomas. Tu crois qu’il est libre ?
-Bas les pattes, fillette ! C’est MON cousin. rétorqua la brune
-Ça va ! Je posais juste une question ! se défendit son amie
-Ne pose pas ce genre de question. Tu ne touches pas à ma famille.
-Alors arrête de baver dessus.
-Baver sur quoi ? questionna Thomas, qui venait d’arriver, deux bouteilles d’eau et une de Coca-Cola dans les mains.
-Rien du tout ! s’empressa de répondre Suzanne. Juste un petit haut hors de prix que j’ai vu tout à l’heure ! Et c’est pour qui ce Coca ?
- Je te crois pas, t’es toute rouge. Et ça c’est pour moi. Vous, vous avez de l’eau.
-C’est une blague ? s’écria la rouquine. Tu crois sérieusement que je vais t’abandonner sur un banc avec ta bouteille en attendant qu’on aie fini ?
-Ouais. rétorqua le jeune homme, sur un ton on ne peut plus sérieux
- Fourre-toi le doigt dans l’œil. Tu vas nous suivre à la trace dans les cinq boutiques qu’il reste à faire ; et en punition, tu vas porter nos achats. TOUS nos achats.
-J’espère que t’es endurant », se moqua la cousine du garçon.
Quand les trois jeunes quittèrent enfin le dédale qu’étaient les rangées de vêtements / chaussures / bijoux / maquillage, Elorah était toujours en pleine forme et Suzanne avait à peu près mal partout mais restait satisfaite de la journée. Quant à Thomas, il s’appliquait à ne faire tomber aucun des sept sacs pleins à craquer qu’il portait…sans compter les boîtes à chaussures. Il était environ dix-neuf heures.
Après une énorme pizza au chorizo et au fromage suivie du Labyrinthe, la Terre Brûlée en 3D, la rouquine avoua sa fatigue et repartit chez elle à bord de la superbe Porsche bleu nuit de son père.
Dix minutes plus tard, Suzanne et son cousin entreprenaient l’ascension des escaliers menant à la chambre de la jeune fille. Mais quand ils voulurent y allumer la lumière, ils eurent comme un problème... coupure de courant. Suzanne pesta. Thomas lui prit la main et la guida jusqu’au lit en s’éclairant de son téléphone.
Là, ils s’assirent sur la couverture, le dos contre le mur. Au bout d’un moment, la jeune fille chuchota :
-Je suis désolée…j’ai aucune idée de l’endroit où mes parents rangent le matelas de secours pour les situations comme celle-là ; et c’est pas forcément une bonne idée d’explorer la maison en pleine nuit, juste à la lumière de nos portables.
-C’est pas grave, répondit le garçon, ça me gêne pas de dormir avec toi. T’es ma cousine, pas une inconnue.
-Comme tu veux…lui sourit Suzanne. Mais je bouge beaucoup en dormant.
-Je m’en fiche. rétorqua Thomas
Là-dessus, ils se couchèrent, ce qui ne fut pas chose aisée. Quand ils se furent installés confortablement dans le petit lit de la brune, cette dernière laissa un sourire pourfendre son visage, et, prétextant le froid, nicha son nez dans le cou du jeune homme. Jeune homme qui la tenait par la taille et sentait vraiment bon. En effet, l’odeur légèrement poivrée de son cousin était devenue vitale à l’adolescente.
Le lendemain, le blond se réveilla seul, dans une chambre qui n’était pas la sienne. Puis tout lui revint en mémoire. L’après-midi shopping avec les filles, la pizza, le cinéma, et la coupure d’électricité.
Alors le garçon s’habilla en vitesse et partit à la recherche de Suzanne. Il trouva la jeune fille lovée dans une couverture devant la télévision, un grand bol de céréales dans les mains.
Comme elle ne l’avait pas remarqué, le jeune homme en profita pour se glisser doucement derrière elle, se pencher par-dessus son épaule, et lui lancer un petit « Bouh ! ». En guise de réponse, Thomas reçut une énorme gifle de la part de sa jolie cousine, qu’il avait effrayée.
Aussitôt, la brune se précipita sur lui, et se mit à s’excuser tout en le traitant d’idiot et de gamin. Il n’avait pas à faire ça, mince !
Alors que Suzanne tentait de se faire pardonner, le jeune homme se mit à rire à pleins poumons, la laissant bouche bée. Quoi ? Elle venait de le gifler, et lui, il ne trouvait rien de mieux à faire que de rire ? C’était vraiment n’importe quoi.
Hormis l’accident matinal, la journée se passa sans encombre. Et, le soir venu, les deux adolescents se changèrent, la jeune brune ayant réussi à convaincre son cousin de venir à la fête avec elle.
Il était vingt heures trente quand Elorah s’arrêta devant le pavillon de banlieue qu’habitait son amie. Ce soir, la jeune fille avait troqué la Porsche de son père pour une superbe décapotable noire. En montant à l’intérieur, Suzanne se surprit à penser que même si la voiture était belle, elle ne l’aimait pas. Trop de vent.
La preuve, en sortant, Thomas avait les cheveux encore plus ébouriffés que d’habitude, ce qui allait tout à fait à ses accompagnatrices. Elles lui firent d’ailleurs remarquer qu’il était vraiment adorable avec son joli minois d’ange déchu.
Les trois jeunes furent accueillis presque immédiatement par un adolescent de l’âge des filles. Il se présenta au garçon par un mot, accompagné d’un sourire : « Marc. » fit-il en tendant la main. Voyant que son cousin ne réagissait pas, Suzanne lui envoya un coup de coude dans les côtes. « Oh ! Euh…Thomas. » répondit ce dernier d’un air troublé avant d’empoigner la main du jeune homme, qui commençait à sentir une crampe pointer son nez.
Suite à ces présentations pour le moins spéciales, le groupe entra dans la maison. À ce moment, tous les regards se tournèrent vers eux, une pointe d’amusement se lisant sur chaque visage. Et dire que Thomas voulait se fondre dans la masse. C’était raté. Et puis, maintenant que tout le monde était là, ils se rendirent compte qu’ils n’étaient qu’une petite quinzaine de personnes. Pas de quoi passer inaperçu !
Il devait être minuit quand Thomas s’éclipsa, prétextant une envie pressante. Dix minutes plus tard, il n’était toujours pas revenu. Marc partit à sa recherche. Vingt minutes après son départ, aucun des deux ne donnait signe de vie, si bien qu’Elorah et Suzanne se mirent en tête de les ramener au salon.
Les deux amies partirent, visitant les pièces une à une. Finalement, elles entendirent deux personnes dialoguer derrière une porte. Marc et Thomas. Sans crier gare, les filles poussèrent le dernier obstacle à leur objectif et pénétrèrent dans la pièce. La salle de bain. En son centre, les deux garçons les regardaient d’un air gêné, légèrement apeuré. Ils avaient le visage pourpre, les lèvres roses, gonflées, et les yeux brillants.
Suzanne resta bouche bée devant la scène. Quand son cousin essaya de lui faire comprendre ce qui venait de se produire, la jeune fille sentit la rage l’envahir. Elle ne se posait plus de questions. Elle ne voulait qu’une chose : partir loin d’ici. Alors elle traversa la maison en trombe, prit son manteau et se rua sur la porte d’entrée, les larmes aux yeux.
Suzanne courait. Elle courait depuis une bonne demi-heure dans le noir et le froid. Où elle allait ? Elle n’en savait rien. Pourquoi ça lui faisait si mal de savoir son cousin dans les bras de Marc ? Elle s’en fichait ; du moins pour le moment. Elle verrait ça à tête reposée.
Cela faisait maintenant une petite heure que la jeune fille courait et pleurait en même temps. Elle était fatiguée, décoiffée, ses joues étaient sillonnées de torrents salés, partant de ses yeux, glissant sans bruit sur ses joues, son menton, finissant par s’écraser au sol. Son nez coulait. Ses lèvres étaient sèches, et elle avait faim.
En passant dans un parc, Suzanne se laissa tomber sur le premier banc qui osa se dresser devant elle. La buée volait gracieusement autour de sa tête, sortant de sa bouche pour se perdre entre les branches des arbres. Des arbres ? Non, d’un arbre. Comment s’appelait-il, déjà ? Elle était sûre de l’avoir étudié. Vomi…voman…vumo… Impossible de se rappeler le nom de cet arbre.
Mais à quoi elle pensait ? Elle s’en fichait, là, maintenant. Non ? Et qu’est-ce qu’elle faisait ici ? Seule, la nuit, dans un parc qu’elle n’avait jamais vu de sa vie ? Tout à coup, la jeune fille se sentit toute petite, minuscule, comme happée par les ombres dansant autours d’elle. Et il était hors de question qu’elle retourne chez Marc. De toute façon, elle n’avait même pas fait attention au chemin qu’elle avait emprunté pour venir jusqu’ici. Et puis, elle était trop en colère contre Thomas et lui. Contre eux ? Ou contre elle-même ?
Épuisée, Suzanne s’allongea, et plongea dans les profondeurs abyssales du pays des rêves, plus précisément dans la fosse aux cauchemars. Cette nuit là fut courte et agitée.
Quand la jeune fille se réveilla, elle n’était plus dans son parc. Dommage. Elle qui voulait revoir l’arbre inconnu... Mais elle n’était pas dans sa chambre pour autant.
Horreur ! Elle venait de reconnaître le lit dans lequel elle dormait. Elle était de retour chez Marc, et elle connaissait cet endroit comme sa propre maison. Elle se trouvait présentement dans la chambre d’ami.
Son premier réflexe fut de vérifier si elle avait mal quelque part. Après quelques minutes d’observation, elle jugea qu’elle n’avait rien, heureusement. Mais pourquoi, diable, était-elle en sous-vêtements ? Sa robe pourpre et son pantalon reposaient sagement sur la commode, aux côtés de sa capeline. Ses ballerines attendaient au pied du lit, maculées de boue.
Doucement, Suzanne s’extirpa des couvertures et s’habilla. Puis elle attrapa son chapeau, et tourna avec prudence la poignée de la porte. Après avoir jeté un œil dans le couloir, la jeune fille descendit et arriva au salon.
Là, Marc se tenait à peu près assis dans le sofa, dos à elle. Tout à coup, Suzanne se rendit compte qu’il n’était pas seul. En effet, Thomas se lovait dans ses bras. C’en était rageant.
La jeune fille fulminait. Elle se coula jusqu’à la porte d’entrée, qu’elle ouvrit discrètement. Et c’est toujours aussi discrètement que la jeune fille se glissa dehors. « Sauvée ! » se dit-elle. Mais le destin en avait décidé autrement, et un grand coup de vent claqua la porte.
Son sang ne fit qu’un tour. Suzanne se mit à courir le plus vite possible. Dans sa course, elle sortit son téléphone de son blue jean, et vérifia l’heure. Dix heures trente-neuf. En se dépêchant, elle pourrait attraper le bus d’onze heures moins le quart et rentrer chez elle.
Dans le véhicule la reconduisant à son domicile, Suzanne cogitait. Mais pourquoi avait-elle fui comme ça ? Elle n’était pourtant pas homophobe. Mais savoir que son cousin préférait les garçons la rendait…folle ? Ce mélange de colère, de tristesse et d’incompréhension qui l’envahissait lorsqu’elle voyait son cousin avec Marc.
Le bus s’arrêta à environ cinq cent mètres de la maison de Suzanne. Cette dernière descendit la rue à toute vitesse, enfonça machinalement la clé dans la serrure, et entra. Elle fût de suite accueillie par un silence oppressant, annonçant que le logis était désert. La jeune fille fila à la cuisine, sortit un paquet de biscuits au chocolat d’un placard, et monta dans sa chambre.
Là, elle s’allongea sur son lit, et sortit son portable de sa poche. Dix-sept messages. Sept d’entre eux venaient de Thomas ; huit de Marc, et deux du téléphone d’Elorah. Elle ne prit même pas la peine de les lire. Elle les effaça tous. Dix minutes plus tard, elle s’endormait, prenant difficilement conscience que l’amour qu’elle portait à son cousin n’était peut-être pas seulement fraternel…
Une forêt. Au centre, une clairière. Suzanne se tenait au milieu. Dans le ciel, la lune souriait cruellement. Autour d’elle, les étoiles murmuraient. Elles semblaient se moquer de la jeune fille, sans oser la regarder. Un coup de vent. Glacial. Suzanne se retourna. Devant elle se tenait Marc. Mais quelque-chose n’allait pas. Il avait l’air mauvais. Les mots résonnaient dans la forêt, frappant l’amie du garçon en plein cœur. « C’est de ta faute. Tu ne peux pas y échapper. Tu le sais. Tu es seule. Toute seule. Personne ne t’aime. Personne ne t’a jamais aimée. Tu n’as toujours pas compris ? Tu ne seras jamais qu’une tache. Tu n’as jamais vu comment les gens te regardent ? Tout le monde te fuit. Elorah est trop gentille. Elle a seulement pitié de toi. Tu m’écœures. Regarde-toi ! On dirait une catin. »
Suzanne n’en pouvait plus. Elle s’effondra au sol, lasse d’entendre son ami l’insulter de la sorte. Elle pleurait. Dans le lointain, la voix de Marc continuait son long monologue à son sujet. Puis le noir se fit. Et avec l’obscurité vint le silence. Et le vide. Désormais, la jeune fille tombait à l’infini. Rien ne l’arrêtait. Aucun son ne sortit de sa gorge lorsqu’elle voulu crier.
Suzanne se réveilla d’un coup. Elle pleurait. Elle s’assit dans son lit, la maison était calme. Ce n’était qu’un cauchemar. Mais ce cauchemar était, aux yeux de la jeune fille, loin d’être anodin. Elle se rendit vite compte que si elle ne se débarrassait pas rapidement de Marc, Thomas ne serait jamais plus que son cousin.
Elle se mit à réfléchir à toute allure. Comment écarter quelqu’un d’une autre personne sans lui faire de mal ? Impossible. Ce fut le seul mot qui lui vint à l’esprit. Si elle voulait les séparer, elle était sûre de détruire psychologiquement au moins l’un des deux garçons. Suzanne s’allongea, il était quatre heures. Vers six heures, elle se leva d’un bond. Elle ferait souffrir Marc ou Thomas ? Tant pis. Son plan était parfait. Il fallait qu’elle le mène à bien. Quel qu’en soit le prix. Et puis … son cousin serait heureux avec elle. Il se remettrait rapidement de son aventure amoureuse.
La jeune fille se rendormit sur ses idées noires. Les prochains jours n’allaient pas être de tout repos. Cette fois, les cauchemars la laissèrent en paix. A son réveil, elle se sentait reposée, et prête à tout.
Suzanne se doucha, s’habilla en vitesse, et s’installa à son bureau. La montagne de papiers et stylos se retrouva rapidement au sol, accompagnée d’un bruit de feuille froissée. Elle attrapa dans un tiroir une feuille de papier, un stylo qui traînait, et se mit à l’œuvre. Une heure plus tard, le brouillon était terminé. Il ne lui restait plus qu’à tout réécrire en double, sur deux feuilles propres. Bientôt, elle eut deux fois le même texte sous les yeux, à quelques mots près. À présent, il lui fallait des enveloppes.
Cinq minutes après, la jeune fille était en possession des objets désirés. Maintenant, direction le bureau de poste. Il allait de soi que les deux lettres devraient être délivrées en même temps. Les garçons ne devaient en aucun cas se douter de son plan. Plan qui ne comportait, aux yeux de la jeune brune, aucune faille.
Le bâtiment apparut bientôt, surmonté de sa traditionnelle enseigne jaune et bleue. Au moment où Suzanne franchit la porte, elle se rendit compte qu’elle venait d’avoir la pire idée du monde en se précipitant sur les lieux le jour même c’est à dire, le samedi 24 février 2009. Le centre était bondé. Les clients se précipitaient sur les trois seuls guichets ouverts, tels une horde de bêtes sauvages. Pendant ce temps, une joyeuse cacophonie s’occupait de réduire en miette les tympans d’absolument tout le monde. C’était un fait, l’adolescente détestait cette ambiance. Et la sinistre tâche qu’elle avait à accomplir ne l’aidait pas beaucoup.
Une heure passa. Une heure de queue dans cet endroit malsain, où les odeurs de transpiration et de papier se côtoyaient et se mélangeaient. Il fallut encore deux heures à Suzanne pour regagner son logis, après avoir laissé ses lettres à la vieille harpie du guichet. Apparemment, la politesse se faisait rare en ce bas monde. Une fois chez elle, la jeune fille se dit qu’elle n’avait plus qu’à attendre, et qu’elle méritait bien un peu de repos.
Trois jours plus tard, elle se remit au travail. Maintenant qu’elle avait sûrement semé la pagaille dans le couple de son cousin, Suzanne n’avait plus qu’à prendre des nouvelles des garçons, faire semblant de s’excuser pour « son comportement inapproprié », et tendre les bras quand Thomas viendrait pleurer sur le sort tragique de son histoire de cœur.
La jeune fille se félicita intérieurement de sa future victoire. Elle allait se diriger vers son portable afin de mettre son plan en marche, quand le téléphone du salon sonna. L’adolescente pensa alors que sa mère décrocherait, mais celle-ci se contenta, depuis sa chambre, de crier un « Suzanne ! Téléphone ! » entre deux gémissements.
L’interpelée leva les yeux au ciel. D’accord ; ses parents n’étaient pas disponibles. Elle dévala l’escalier, attrapa le combiné, et émit un grognement digne d’un ours que l’on pourrait sûrement traduire par : « Bonjour ! Suzanne Melling à l’appareil. Que puis-je faire pour vous ? » Mais la personne se trouvant de l’autre côté de l’appareil ne se démonta pas, et lança :
-Salut Suzanne. C’est Thomas. Ça va ?
-Très bien et toi ? J’allais justement appeler pour prendre de tes nouvelles. avoua la jeune fille à son interlocuteur
-Oui, je vais bien. Je me demandais : tu voudrais pas venir traîner en ville, là, avec nous ?
-Vous ?
-Des amis du lycée, et moi. Alors ? Tu viens, ou pas ?
-J’arrive !
-Cool ! Il faudra qu’on parle, tous les deux, aussi.
-D’accord. Je me prépare, et j’arrive. On se retrouve où ?
-Devant la bibliothèque, ça te va ?
-Parfait ! À tout de suite !
Pile au moment où Suzanne voulait mettre son plan en action, sa proie lui tombait directement dans les mains. C’était parfait. Elle fonça à la salle de bain, qu’elle n’occupa qu’une dizaine de minutes, enfila son manteau, une paire de bottines en daim, et s’engouffra dans le froid sec de cette fin d’hiver.
L’adolescente se rendit directement à la bibliothèque. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver son cousin et Marc côte à côte ! Et beaucoup trop rapprochés à son goût. Attendez…ils n’étaient pas censés être fâchés après le coup des lettres ? Suzanne ne put s’en empêcher :
-Qu’est-ce que vous faîtes ensemble, vous ?
-Tu vois ? Je te l’avais dit ! hurla Thomas
-Je sais. Allez, viens. On n’a pas besoin d’en savoir plus.
-Attendez ! s’exclama la jeune fille
-Quoi ? (les deux garçons s’étaient retournés en même temps)
-Tu veux quoi ? T’excuser ? demanda Marc d’un ton plein de reproches
-C’est pas ce que vous croyez… tenta-t-elle de s’expliquer
-Alors quoi ? Tu vas nous dire que tu ne voulais pas nous briser ? Fracasser nos cœurs pour en faire des confettis ? cette fois, c’est son cousin qui parlait, la voix cassée, ne retenant même plus ses larmes
-Thomas… la fautive s’avança
-Ne m’approche pas ! Dégage ! Sors de ma vie, merde ! et il fourra sa tête dans le cou de son petit ami, éclatant en sanglots.
-Comment t’as pu lui faire ça ? C’est ton cousin, Suzanne ! Et moi ? Je pensais qu’on était amis !
La jeune fille s’était mise à pleurer, elle aussi. Seul Marc gardait un semblant de dignité, vite dissipé par ses cris incessants. C’était horrible. Dix minutes plus tôt, elle se rendait joyeusement sur les lieux du rendez-vous, pensant que les garçons ne se verraient pas avant plusieurs mois. Et là, ils étaient devant elle, à lui jeter tous ses torts à la figure.
Alors l’adolescente fit la chose qui lui sembla la plus logique. Encore une fois, elle prit la fuite. Ça devenait récurent, ces derniers temps…
Elle courut pendant plusieurs heures, sûre d’avoir traversé la ville. Finalement, elle s’assit sur un trottoir, et pleura jusqu’à n’en plus pouvoir. Mais la nuit pointa le bout de ses étoiles dans le ciel, indiquant qu’il était grand temps pour la jeune fille de rentrer chez elle.
Une fois dans sa chambre, Suzanne attrapa le paquet de biscuits entamé sur sa table de chevet, et le vida en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Avant de se coucher, elle décida d’attendre que le couple veuille la regarder à nouveau pour tenter quelque chose.
Malheureusement, plusieurs mois après l’épisode de la bibliothèque, aucun des deux garçons n’avait reparlé à la jeune fautive. Ses relations avec son cousin étaient passées de fréquentes à inexistantes, en quelques jours à peine. Et ce n’était pas près de s’arranger…
Son moral n’était jamais tombé aussi bas. Le troisième trimestre venait de commencer au lycée, et l’adolescente avait de plus en plus de mal à suivre les cours. Cela faisait trois bonnes semaines qu’elle n’écoutait plus en classe, ne travaillait ni chez elle, ni en cours, et ne mangeait même plus le midi.
Suzanne était désespérée de son propre comportement, mais ne changea rien. À quoi bon ? De toute façon, tout le monde lui en voulait. Son cousin et Marc avaient disparus de son champ de vision depuis bien longtemps, sa meilleure amie l’avait lâchée pour des filles superficielles ressemblant plus à une Barbie qu’autre chose, ses profs remplissaient un peu plus son carnet de liaison tous les jours, et ses parents lui tombaient dessus tous les soirs, obnubilés par la brutale chute des moyennes de leur fille. Même les inconnus semblaient la regarder de travers.
Et vint le jour où son professeur de sciences donna enfin un moyen de délivrance à la jeune fille. Tout avait commencé par ces deux phrases : « Le vomiquier est un arbre originaire d’Asie, produisant des fruits appelés « noix vomiques ». Elles renferment une substance utilisée à petite dose par les sportifs pour stimuler leur activité musculaire ; mais à forte dose, c’est un composant actif de la mort au rat. »
Immédiatement, l’adolescente se leva, sortit en trombe de la salle, et retourna chez elle, toujours en courant. Une fois arrivée, elle prit une boîte rouge et noire dans l’un des placards, et ressortit, omettant de fermer la porte. Tant pis. Puis elle passa l’après-midi à arpenter les parcs de la ville, à la recherche d’un arbre en particulier. Vers dix-neuf heures trente, elle trouva ce qu’elle voulait.
Le vomiquier resplendissait, montrant ses fleurs à qui voulait les voir. Sur les branches, pas de noix. Juste une tempête de pétales. Suzanne sortit une boule de pâte de sa boîte, et la mangea en silence, les yeux levés sur la ramure de l’arbre.
Tout à coup, le monde devint flou. Suzanne fut prise de convulsions, l’obligeant à s’asseoir. Cela ne suffit pas. Elle se tordit de douleur, et s’écroula. Les passants s’arrêtaient mais ne faisaient rien, trop impressionnés par le spectacle sous leurs yeux. Dans le silence qui s’était fait soudain, un rire monta, de plus en plus puissant. Un rire sardonique, terrifiant ; comme ceux des méchants dans les films. Mais c’était la fille au sol qui riait. Elle était devenue complètement folle. À présent, elle pleurait, et se trouvait tendue comme un arc, ne touchant la terre que par la tête et les talons.
Quelqu’un se décida à appeler une ambulance, mais trop tard. Le véhicule tournait à peine au coin de la rue, que la vie quittait déjà l’adolescente. Elle mourut, presque sans douleur, un air de victoire peint sur le visage. C’était fini. Plus d’histoires de cœur qui tournent mal, plus d’amis déserteurs. Plus rien. Juste elle, et la mort. Le noir, et le silence. C’était fini.