Bravo pour votre article sur Match Point, chère Camilia ! Je comprends votre réaction de mécontentement devant le succès de Chris, assassin impuni qui parvient à intégrer la grande bourgeoisie au prix d’un double meurtre qui ne lui pèse pas outre mesure sur la conscience... c’est d’ailleurs ce qu’il déclare aux " fantômes" de ses victimes, alors qu’il semble en proie à une hallucination : " les innocents sont souvent trucidés pour une plus grande cause"
Mais cette fin moralement choquante est en quelque sorte en germe dès le début du film ; comme vous l’avez remarqué, l’image de la balle qui ne passe pas le filet - et détermine l’issue du match, répond à l’image de la pièce à conviction (l’alliance) qui rebondit sur une rambarde, et qui va orienter l’enquête vers un autre coupable. La chance (" luck") est le maître-mot de cette intrigue, où les personnages réussissent ou échouent, non pas en fonction de leur mérite ou des privilèges de leur naissance, mais de la chance qui favorise leurs projets
C’est d’ailleurs la réplique finale du film : l’oncle du nouveau-né, ( fils de Chloe et Chris) lui souhaite avant tout d’avoir de la chance :
La réussite sociale est la récompense non pas de la valeur personnelle, mais de la chance, et de l’habileté à s’approprier les codes sociaux du milieu que l’on cherche à intégrer :
Chris est issu d’un milieu modeste et irlandais de surcroît, mais son "uniforme" immaculé de professeur de tennis lui permet de masquer ses origines ; grâce à son amour de l’opéra, et la culture qu’il acquiert en autodidacte, il peut se poser en amoureux et en gendre socialement acceptable pour la "gentille" Chloe et sa famille,
Malgré sa beauté à couper le souffle, Nola Rice est moins bien placée pour réussir : c’est une actrice- débutante qui n’a tourné pour l’instant que des publicités, elle est américaine, et elle est présentée dès la première image comme une parodie de l’ambitieux Chris : elle joue ( mal) au " tennis de table", alors qu’il est une ancienne star du tennis Sa première réplique "Who’s gonna be my next victim ?" résonne de façon ironique, puisque la victime, ce sera... elle
C’est ce que parvient à faire Chris, qui maîtrise parfaitement l’accent "upper-class", le King’s english que l’on parle à la BBC, alors que Nola reste jusqu’au bout marquée par son accent américain. Cette importance de l’accent comme marqueur de réussite sociale est mise en évidence par la présence de personnages modestes ( l’agent immobilier qui loue un studio à Chris, l’ami pro du tennis qui n’a pas su se reconvertir, les deux policiers qui enquêtent sur le meurtre ). Ils sont à l’image de ce que Chris aurait pu devenir : des anonymes de la classe moyenne, c’est-à-dire, aux yeux ambitieux de Chris, des ratés en petit costume étriqué, prisonniers d’un boulot sans prestige ("a nine to five job"), alors que lui est habillé de costumes bien coupés, travaille dans la haute finance, et habite des immeubles de luxe d’où il domine le reste de Londres
Il y est question aussi d’un double meurtre crapuleux, dont le coupable, fou de remords, va finir par se dénoncer à la police. Chris a-t-il été inspiré par ce roman pour commettre ses assassinats ? En tout cas, lui a su tordre le cou au remords, même s’il concède que cela n’a pas été facile !
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Dernière mise à jour : lundi 24 janvier 2022