Et nous voici de retour, pour vous jouer de mauvais tours !
Après cet entracte humoristique, passons aux choses sérieuses.
Si je vous dis "théâtre", vous pensez représentation, n’est ce pas ? EH BIEN, VOUS AVEZ TOUT FAUX ET IL FAUDRAIT PENSER A ÉLARGIR VOTRE CULTURE DÉPLORABLE, MES PETITS ! en effet, il existe un dramaturge du nom de Musset qui eut la bonne idée d’écrire une pièce de théâtre destinée à ne pas être représentée.
Vous allez me dire ’’Mais d’où vient cette idée saugrenue ?’’...
Peut-être avait-il abusé de l’absinthe du GRAND Verlaine ?
(Note du professeur : impossible ! Verlaine n’avait que 13 ans quand Musset est mort en 1857 !)
Toujours est-il que pour embêter toutes les terminales littéraires de France et Navarre, Musset, publia Spectacle dans un fauteuil. Ainsi nous nous dévouons, NOUS Justine et Émeline, humbles élèves de TL, dans la tâche ardue de vous aider à comprendre ce chef d’œuvre sous-estimé en son temps qu’est Lorenzaccio.
En effet, le personnage de Lorenzo est ambigu de par son homosexualité latente qu’on peut deviner tout au long de la pièce grâce à de nombreux indices comme par exemple la métaphore filée de la nuit de noces pour qualifier le meurtre d’Alexandre ou encore l’épée, symbole phallique présent fréquemment, notamment dans la scène 4 de l’acte 1. Autant d’indices qu’un spectateur averti ne peut manquer d’interpréter, ce qui aurait fait scandale au XIXème siècle (l’idée du mariage pour tous était encore loin...).
Afin d’atténuer le scandale que cela aurait provoqué, Sarah Bernhardt , dans la toute première mise en scène de la pièce en 1896, inaugure la tradition tenace de faire jouer ce rôle par une femme (Armand d’Artois, le metteur en scène, effectuant un bon gros travail de charcutage sur le texte original). A cela s’ajoute le goût de Sarah pour les rôles masculins : en effet, elle est une comédienne extrêmement populaire qui a joué de nombreux rôles masculins notamment celui de Hamlet.
Selon elle, la grande sensibilité du personnage et son ambiguïté font que Lorenzo gagne à être joué par une femme :
"L’Hamlet de Musset est noyé dans les intrigues, les orgies et la somptueuse luxure mais il a dans le fond de son âme la petite flamme qui illumine par moments tout son être. [...] Dans aucun caractère de femme je ne retrouve une telle variété de sentiments."
Les avis sont partagés sur le jeu de l’actrice ; pour certains, elle déforme Lorenzo, mais pour d’autres, elle le sublime :
" Voyez la magnifique audace de cette femme supérieure à toutes les femmes, qui, en possession de la gloire et de la renommée, assume un rôle d’homme, un personnage hamlétique et byronien, le plus difficile qui existe au théâtre, un masque sur une figure dont chaque expression est simulée, dont chaque geste joue la comédie, dont chaque mot est de réflexion, de dissimulation, de triple entente. Puissance morale, force physique, création de personnalité inconnue, — elle y exerce des dons surhumains, de sorte que cette entreprise inouïe resplendit en soleil de gloire sur sa carrière.
Regardez ; ce n’est pas une femme travestie qui entre sur la scène, c’est Lorenzaccio lui-même, les gestes, la démarche, le masque du chétif et sombre jeune homme, le verbe calculé, amer et railleur de l’éphèbe dévirilisé par la débauche en qui rugit une âme de lion. Comme il feint la peur devant une épée, le mignon du Médicis ! il pâlit, il se pâme, et, tout à l’heure, dans l’arsenal, contre Scoronconcolo, le fer en main, il poussera le spadassin avec une énergie, une violence, une fureur, des clameurs terribles, tel le fauve bondissant sur sa proie. C’est qu’il s’imagine avoir au bout de sa lame le Médicis."Henri Bauer (L’Écho de Paris du 05/12/1896)
Ainsi, Marguerite Jamois met en valeur sa féminité, tandis que Renée Falconetti se masculinise :
« Elle a sous les cheveux noirs coupés courts , un petit visage vert de grisé par l’insomnie ; pommettes saillantes, joues creuses, lèvres blanches, menton aigu, elle porte à ravir le maillot noir, la petite toque, et le long manteau qui traîne. Elle est épuisée et acharnée. Les yeux brûlent dans leurs cernures brunes. Elle se ramasse sur son fauteuil ; et on la sent prête à bondir. Elle fait de Lorenzo une petite pourriture héroïque. » ROBERT KEMP, La Liberté, 04/12/1927
Lors de la mise en scène où apparaît Marie-Thérèse Pierat dans le rôle de Lorenzo, à la Comédie-Française, dans l’adaptation d’Emile Fabre en 1927, si Marie-Thérèse Pierat rencontre un certain succès dans son rôle, la tradition du rôle travesti de Lorenzo commence à s’émousser, chacun gardant en mémoire l’interprétation extraordinaire de Sarah Bernhardt.
« Quand Alexandre la tient dans ses bras, il a l’air de caresser sa petite amie déguisée en page. » Claude Berton, Les Nouvelles littéraires - 11/06/1927
« … le rôle doit être tenu par un homme. Le précédent de Sarah Bernhardt ne prouve rien. Sarah, c’était le miracle permanent. » Jane Catulle-Mendès dans La Presse du 06/06/1927
De même, Philippe Hériat dans La Bataille, 18/10/1945, critique l’interprétation de Marguerite Jamois en raison de :
« l’inconvénient majeur du travesti, désuète et choquante convention que font durer dans les temps modernes l’esprit de routine des directeurs, la vanité des comédiennes et la persistance du souvenir de Sarah. »
Lorenzo redevient un homme à part entière grâce à Jean Vilar, en 1952, avec Gérard Philippe dans le rôle titre. (Pour lire l’article de Lolita,« Quand Jean Vilar rencontre Lorenzaccio », cliquez sur le lien.)
Plus tard, d’autres metteurs en scène choisiront de montrer l’ambiguïté de Lorenzo, mais ce seront alors des hommes travestis en femmes et non l’inverse, le monde du théâtre étant en perpétuel mouvement.
2009-2023 © Lycée George-Sand La Châtre - Tous droits réservés
Ce site est géré sous
SPIP 3.2.19
et utilise le squelette
EVA-Web 4.2
Dernière mise à jour : lundi 24 janvier 2022