On ne peut réduire l’œuvre de Quignard et Corneau à la seule dimension d’hommage à l’esthétique baroque, parce que d’autres influences sont à l’œuvre dans le roman et le film.
Dans le roman
C’est une écriture concise, parataxique : peu de liens logiques explicites ; des phrases simples, épurées, comme si Quignard avait procédé à plusieurs distillations jusqu’à trouver la matière la plus pure, jusqu’à la quintessence.
Par exemple, le premier paragraphe du roman est composé de cinq phrases verbales, très courtes. Impression de rapidité dans le récit : on ne sait pas de quoi meurt Mme de Sainte Colombe. Pas de développement sur l’ampleur de l’amour de Sainte Colombe pour son épouse. L’écriture de Quignard vise l’essentiel. Elle est elliptique : voir chap 6, p 23 : « Pendant plusieurs années ils vécurent dans la paix… entre ses jambes. »
Quignard puise son inspiration dans l’Antiquité par la réécriture de mythes grecs : Orphée et Eurydice, Pyrame et Thisbé (le mûrier), Ariane, la barque de Charon.
Le classicisme de Quignard est janséniste.
Les allusions aux jansénistes sont très fréquentes dans le roman et le film.
Dans le film, (21 min 58 secondes), la scène de concert à trois violes évoque un des portraits de groupe de Rembrandt :
ainsi que les costumes noirs portés par Sainte Colombe et Baugin.
On peut lire Tous les matins du monde comme un hommage à la morale janséniste : Sainte Colombe vit comme un solitaire de Port-Royal. "Austérité", Sainte Colombe n’est qu’austérité. Rien ne prouve sa foi, mais il a adopté le mode de vie des "Messieurs" de Port-Royal.
Sa pratique poussée de la musique qu’on retrouve chez Sainte Colombe, la perte de sa voix d’enfant chez Marin Marais et dans le thème récurrent de l’abandon, son anorexie, sa dépression chez Madeleine, ses crises de mutisme chez Sainte Colombe.
Dans le film
Le film, en effet, présente de très belles scènes d’extérieur où l’on peut admirer un paysage bucolique et paisible qui bien souvent, se dessine sous les yeux de Sainte Colombe.
« Les jours où l’humeur et le temps qu’il faisait lui en laissaient le loisir, il allait à sa barque et, accroché à la rive, dans son ruisseau, il rêvait. » p.23, chap.V.
« Il aimait le balancement que donnait l’eau, le feuillage des branches des saules qui tombait sur son visage et le silence et l’attention des pêcheurs plus loin. »p.24, chap. V.
« Il écoutait les chevesnes et les goujons s’ébattre et rompre le silence d’un coup de queue ou bien au moyen de leurs petites bouches qui s’ouvraient à la surface de l’eau pour manger l’air. L’été quand il faisait très chaud, il faisait glisser ses chausses et ôtait sa chemise et pénétrait doucement dans l’eau fraîche jusqu’au col puis, en se bouchant avec les doigts les oreilles, y ensevelissait son visage. » p.24, chap.V.
Ce sont des notations aussi brèves que des haïkus (forme poétique japonaise, petits poèmes extrêmement brefs visant à dire l’évanescence des choses) qui laissent imaginer de petits tableaux.
Jean-Baptiste Camille Corot
- 1ère scène d’apparition des filles, lorsqu’elles pêchent de dos.
- La pêche : 8min, 07 secondes + le chemin : 07 min, 59 secondes.
- Vue sur l’étang : 1h 12min 51 secondes.
Auguste Renoir et Edouard Manet
- Scène de la baignade de Madeleine nue. La silhouette de Madeleine rappelle des tableaux où apparaissent des baigneuses, p.36, chap.X. / Film : 46 min, 49 secondes.
La démarche du metteur en scène Alain Corneau a été de mettre en avant de façon abondante les descriptions picturales du roman, de sorte à faire de son film une œuvre essentiellement esthétique.
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Dernière mise à jour : lundi 24 janvier 2022