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Publié : 2 novembre 2011
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L’Androgyne de Platon

Où je peux ranger ça ?

J’ai hésité longuement entre le café philo et le thé littéraire... J’ai opté pour cette rubrique puisque l’évocation de l’androgyne s’est faite en cours de littérature.

Ce qui va suivre est un extrait tiré du Banquet de Platon (voir article ici même d’Olivia). Extrait [189d] à [191d] tiré plus exactement d’une traduction du Banquet de Platon par Luc Brisson.

Vous y trouverez aussi quelques notes du traducteur aidant à la compréhension.

Bonne lecture !

(et pour ceux qui ne souhaitent pas lire vous serez sûrement intéressés par la fin de l’article tout en bas dans la partie "pour ceux qui n’y comprennent rien")

PLATON : Le Banquet ou Maman ! Pourquoi suis-je tel quel ?

« Aristophane

. Mais, d’abord, il vous faut apprendre ce qu’était la nature de l’être humain et ce qui lui est arrivé. Au temps jadis, notre nature n’était pas la même qu’aujourd’hui, mais elle était d’un genre différent.

. Oui, et premièrement, il y avait trois catégories d’êtres humains et non pas deux comme maintenant, à savoir le mâle et la femelle. Mais il en existait encore une [189e] troisième qui participait des deux autres, dont le nom subsiste aujourd’hui, mais qui, elle, a disparu. En ce temps-là en effet, il y avait l’androgyne, un genre distinct qui, pour le nom comme pour la forme, faisait la synthèse des deux autres, le mâle et la femelle. Aujourd’hui, cette catégorie n’existe plus, et il n’en reste qu’un nom tenu pour infamant [1].

. Deuxièmement, la forme de chaque être humain était celle d’une boule, avec un dos et des flans arrondis. Chacun avait quatre mains, un nombre de jambes égal à celui des mains, deux visages sur un cou rond avec, [190a] au-dessus de ces deux visages en tout point pareils et situés à l’opposé l’un de l’autre, une tête unique de quatre oreilles. En outre, chacun avait deux sexes et tout le reste à l’avenant, comme on peut se le représenter à partir de ce qui vient d’être dit. [...]

. La raison qui explique pourquoi il y avait ces trois catégories et pourquoi elles [190b] étaient telles que je viens de le dire, c’est que, au point de départ, le mâle était un rejeton du soleil, la femelle un rejeton de la terre, et le genre qui participait de l’un et de l’autre un rejeton de la lune [2], car la lune participe des deux.

. Cela dit, leur vigueur et leur force étaient redoutables, et leur orgueil était immense. [...] ils entreprirent [190c] l’escalade du ciel dans l’intention de s’en prendre aux dieux [3] [...].

. C’est alors que Zeus et les autres divinités délibérèrent pour savoir ce qu’il fallait en faire ; et ils étaient bien embarrassés. Ils ne pouvaient en effet ni les faire périr et détruire leur race comme ils l’avaient fait pour les Géants en les foudroyant - car c’eût été la disparition des honneurs et des offrandes qui leur venaient des hommes -, ni supporter plus longtemps leur impudence. Après s’être fatigué à réfléchir, Zeus déclara : « Il me semble, dit-il, que je tiens un moyen pour que, tout à la fois, les êtres humains continuent d’exister et que, devenus plus faibles, ils mettent un terme à leur conduite déplorable. En effet, dit-il, je vais sur-le-champ les couper chacun en deux ; en même temps [190d] qu’ils seront plus faibles, ils nous rapporteront davantage, puisque leur nombre sera plus grand. [...] mais, s’ils font encore preuve d’impudence, et s’ils ne veulent pas rester tranquilles, alors, poursuivit-il, je les couperai en deux encore une fois, de sorte qu’ils déambuleront sur une seule jambe à cloche-pied. » Cela dit, il coupa les hommes en deux [190e], ou comme on coupe les œufs avec un crin. [...] »


(pour voir d’autres aquarelles du même auteur : ici)

Pour être bref

Je passerai assez rapidement sur le plus comique, la création du "nombril" par Apollon et les techniques ou outils qu’il utilise pour façonner notre corps d’aujourd’hui. Si vous êtes curieux je vous laisserai lire la suite. Nous en venons donc à la conception de l’amour selon cette légende.

« Quand donc l’être humain primitif eut été dédoublé par cette coupure, chaque morceau, regrettant sa moitié, tentait de s’unir de nouveau à elle. »

Selon cette légende, on sait maintenant pourquoi les hommes s’enlacent. Cette gestuelle est associée au désir de se confondre avec son autre moitié. Mais pour continuer cette histoire, il faut savoir que les sexes étaient toujours à l’arrière (oups ! c’est dommage, dites donc !) Ainsi l’espèce s’éteignait. Mais ce cher Zeus fut pris de pitié et nous remodela pour la troisième fois (si ce n’est plus... à vérifier.) Et ainsi il nous « rendit possible un engendrement mutuel, l’organe mâle pouvant pénétrer dans l’organe femelle. » (merci Aristophane pour ce cours de biologie).

A savoir sur l’amour selon cette philosophie :

Mme Lécrivain, je vais pouvoir répondre à votre question :

« Le but de Zeus était le suivant : si, dans l’accouplement, un homme rencontrait une femme, il y aurait génération et l’espèce perpétuerait ; en revanche, si un homme tombait sur un homme, les deux êtres trouveraient de toute façon la satiété dans leur rapport, ils se calmeraient, ils se tourneraient vers l’action et ils se préoccuperaient d’autre chose dans l’existence. »

David, tu avais cité le cas d’une femme avec une femme également mais je n’ai vu aucune référence dans Le Banquet. Je pense qu’il est plutôt implicite ici.

Tout aussi intéressant : pour ceux qui n’y comprennent rien :

Vous n’avez rien saisi ? Ce n’est pas bien grave ! J’ai trouvé une petite vidéo assez intéressante qui va vous développer tout ça en images au fil de la lecture du discours d’Aristophane par Jean-François Balmer.

Bon visionnage à vous : ici  !

Notes

[1en oneidei désignant chez Eupolis un homme efféminé et lâche.

[2considération cosmologique qui associe les trois genres à trois corps célestes, en fonction de leur forme d’une part, puisqu’ils sont ronds, et en fonction de leur sexe : le soleil étant un dieu masculin, la terre une divinité féminine et la lune, qui se trouve entre les deux, étant bisexuelle. Sur le sujet, cf. Luc Brisson, Le Sexe Incertain.

[3cf. Homère, Otos et Ephialte emprisonnant Arès pendant 1 an (Iliade, V, v. 385 sq.) et l’intention de monter au ciel pour s’en prendre aux dieux en empilant le mont Ossa sur l’Olympe et le Pélion sur le mont Ossa (Odyssé, XI, v.307-320)